« A Journey of One’s Own »
Antoinette dans les Cévennes (Caroline Vignal, 2020)
C'est l'histoire d'Antoinette, professeure des écoles quadragénaire, amoureuse de Vladimir, homme marié et père d'une charmante petite fille, élève de la classe d'Antoinette. Ils s'aiment en secret sans que rien ne soit venu troubler leur idylle. Mais à l'heure des vacances scolaires, Vladimir annule au dernier moment le séjour prévu avec son amante pour faire une randonnée d'une semaine dans les Cévennes, avec sa femme, sa fille et un âne. Empreinte au désespoir, elle décide de partir elle aussi pour un séjour dans les Cévennes, provoquant au passage l'exposition au grand jour de sa relation avec Vladimir. Mais une toute autre approche se dessine derrière cet amorce vaudevillesque.
Un vaudeville revisité
Si on ne va pas chercher plus loin, on tient là un pitch à haut potentiel humoristique, avec la très très drôle et finement expressive, Laure Calamy, qu'on retrouve d'ailleurs dans le même rôle d'amante un peu trop passionnée dans l'excellente série Dix pour cent de Fanny Herrero.
Caroline Vignal prend complètement le contre pied des tropes du vaudeville et des codes scénaristiques de la comédie romantique. Avec pour toile de fond le récit de voyage de Robert Louis Stevenson (qui s'était isolé pour des raisons similaires à Antoinette), la réalisatrice de Les autres filles (récit d'apprentissage féminin) sorti en l'an 2000, nous livre ici le magnifique portrait d'un personnage féminin en quête d'acceptation de soi et de capacité à accueillir avec bienveillance ses désirs et besoins les plus profonds.
Antoinette part sur les chemins de l'émancipation et de l'indépendance : indépendance vis-à-vis d'une société hétéro-patriarcale qui à travers le regard des hommes et femmes qui l'entourent, tente de lui dicter la marche à suivre et lui fait porter le fardeau de son rôle d'amante illégitime. Nous la suivons durant tout le film, aux côtés de son âne Patrick, seul ami, vivant hors des conventions et de la rationalité, à travers les tableaux grandioses du paysage cévenol.
Au moment de la révélation au grand jour de cet amour interdit, en présence d'Elénore (l'amante légitime) et de sa fille, ce n'est pas le dénouement tant attendu qui se déroule sous nos yeux. En effet, la découverte de l'adultère n'annonce pas une déchéance des protagonistes ni même une véritable rupture, mais plutôt un nouveau départ qui relance le récit. En effet, l'autrice nous épargne les clichés de dispute éclatante voire d'agression pittoresque et ennuyeuse entre l'épouse et l'amante, ou entre l'homme marié et sa femme, ou bien entre les trois. Elle nous offre plutôt la mise en scène en plan séquence de plusieurs minutes, d'un dialogue subtil, posé et tendre, entre deux femmes, dont deux actrices de talent (Laure Calamy et Olivia Côte) endossent le rôle. Deux femmes qui se parlent et s'écoutent, l'une et l'autre, lorsque le principal intéressé n'apparaît ni dans le plan ni même hors champs et qu'il n'est pas forcément l'objet principal de l'échange. Il s'agit moins ici de deux femmes trahies (par un homme), qui perdent le contrôle de leur vie que de deux individu.e.s en quête de soi.
C'est visiblement de cette discussion que naît, chez Antoinette, le désir profond de faire de ce voyage le sien : elle repart sur la route, seule, laissant sans explication ni ménagement, Vladimir et sa petite famille. Caroline Vignal change complètement la donne avec le personnage masculin du trio qui n'est plus moteur de l'action ni centre de l'attention et qui se retrouve à son tour délaissé et abandonné par le récit lui-même.
Plus encore, c'est une proposition de redéfinition des modalités relationnelles qui nous est proposée. L'amante déchue va croiser sur sa route plusieurs personnages qui profiteront à sa quête de soi. Ce seront souvent des femmes, qui endossent volontiers des rôles archétypés masculins (patron du bar ou de l'auberge du coin ou bien cow-boy solitaire) en s'émancipant des comportements masculins toxiques et en apportant leur aide respectueuse et désintéressée à la protagoniste principale, servant au passage de modèles inspirants. Elles se posent en figures féminines en pleine possession de leurs moyens, profondément libres et modernes.
Si elle croisera tout de même un homme, avec qui elle passera la nuit (plus par pression sociale et par désespoir que par réelle envie) ce sera plus pour servir sa quête de bien-être et d'estime de soi que pour satisfaire le désir masculin une fois de plus. Elle le laissera derrière elle, comme une étape de plus dans ce combat interne. C'est surtout le dernier homme qu'elle croisera qui confirme toute la réussite de son parcours. Il annoncera sa renaissance et la fin du voyage. Leur rencontre se fera sous le signe de la douceur, du consentement, du désir en pleine conscience et de la liberté morale et physique.
A l'instar d'une Virginia Woolf, qui, il y a bientôt un siècle, cernait l'importance primordiale de posséder un espace à soi pour exister socialement et individuellement (A room of one's own, 1929), Caroline Vignal nous offre ici le voyage thérapeutique et émancipateur d'une femme d'aujourd'hui qui réussit à s'approprier le temps, l'espace et le récit.
Antoinette dans les Cévennes est un récit comique profondément féministe et novateur, un véritable pied de nez à la comédie romantique "mainstream" qui tend parfois à briller par sa désuétude...