• 17/11/2020
  • Mathieu Gleize

Viser toujours plus haut

Au revoir là-haut (Albert Dupontel, 2017)

Albert Dupontel se plonge dans la France de l’après première guerre mondiale en adaptant le roman multi-récompensé de Pierre Lemaître, et nous livre une épopée dramatique animée d’une fantaisie à la fois drôle et touchante. Une grande réussite qui vient surpasser ses précédentes oeuvres.

Dès le début du film, le ton est donné. Le film parlera des gueules cassées. La scène d’ouverture ne nous épargne pas : hurlements, cadavres en morceaux, Maillard, un soldat (Dupontel, au top), enseveli, obligé d’avaler l’air dans une gueule de cheval, et tant d’autres passages irrespirables dans cette ouverture. Et le résultat ne se fait pas attendre : Edouard, son ami, est grièvement blessé. Nahuel Perez Biscayart, qui vient de boucler 120 battements par minute (Robin Campillo, 2017), nous livre une interprétation à contre-courant de ses précédentes apparitions. Dans ses yeux bleus se lit le désespoir d’une vie perdue, et qu’il ne retrouvera probablement jamais.

Le film aurait pu basculer dans un registre plus introspectif de ses personnages, comme dans d’autres propositions telles que Voyage au bout de l’enfer (Michael Cimino, 1978) ou La chambre des officiers (François Dupeyron, 2001), en passant par Johnny s’en va-t-en guerre (Dalton Trumbo, 1971). Mais là où Au revoir là-haut se démarque, c’est dans sa capacité à faire jaillir des sentiments différents dans l’esprit du spectateur, à la manière d’un Rome ville ouverte (Roberto Rossellini, 1945). Notre joyeux duo va, au fil de ses péripéties, gagner de la joie de vivre grâce à des lumières et des points de vue fantaisistes distillés par la mise en scène. Ces procédés seront bienvenus dans ce monde ravagé par le conflit, et permettront ainsi d’éviter les impressions de déjà-vu et autres clichés néfastes.

Mais nos deux amis ne seraient rien sans les nombreux personnages qui gravitent autour d’eux. C’est avec un certain plaisir que nous retrouvons Laurent Lafitte dans le rôle du colonel Pradelle, le grand méchant de l’histoire. On est loin du personnage joyeux des Petits mouchoirs (Guillaume Canet, 2010). Plus diabolique que jamais, il incarne le profiteur prêt à tout pour tirer profit de la douleur des gens. Le contraste entre lui et ce qui reste de Biscayart, le jeune soldat blessé, est bouleversant et injuste, et c’est probablement ce qui attise la colère du spectateur à son égard. Le voir au sein de la famille du blessé est difficile à supporter, d’autant plus quand on le sait marié à sa soeur (Emilie Dequenne, touchante à souhait). Celle-ci, qui est probablement celle qui souffre le plus de la disparition de son frère, trouve un certain réconfort à son côté, qui n’empêche pas son époux d’aller voir ailleurs.

Mais le film ne serait rien sans la présence de l’un des meilleurs seconds rôles du moment, Niels Arestrup. Connu pour ses rôles brutaux (Un prophète, Jacques Audiard, 2009), le triple césarisé ajoute une nouvelle corde à son arc avec un personnage dont l’armure se brise peu à peu lors de la disparition de Edouard. Son jeu tout en retenue et polyvalent nous restera en mémoire pendant encore très longtemps. Le duel émouvant qu’il partage avec son fils dans la dernière partie est tout simplement inoubliable grâce à la sincérité de leur regard en larmes, qui nous fait comprendre qui est le vrai héros du film : la famille.

De plus, chez Dupontel, le costume des personnages est quelque chose qui a toujours eu une grande place dans la caractérisation des personnages. Comment dissocier Bernie (1996) de ses vêtements de gamins ou Bob Nolan (9 mois fermes, 2012) de sa coupe de cheveux hirsute ?

Ici, ce n’est pas les cheveux où les vétements qui créent les personnages, mais les masques que portent Edouard. Et cela n’a jamais été aussi efficace. Ces passages où la seule partie visible du corps de Biscayart sont ses yeux, sont probablement les plus puissants en terme d’émotions. Grâce à ces déguisements, le personnage principal ressucite et connaît une nouvelle vie, et les utilise pour diffuser ses sentiments, notamment au regard de la petite Louise, une jeune fille, qui deviendra un personnage plaisant et émouvant à retrouver. Leur amitié est sincère, et redonne le sourire à un homme qui a tout perdu du jour au lendemain.

Dupontel réinvente le thème des blessures de guerre au cinéma en plongeant les victimes dans son monde fantaisiste et charmeur avec une photographie inoubliable et une bande son d’anthologie pour notre plus grand bonheur.