• 27/11/2020
  • Jessica Ravuz

Jeunesse complexe, polémique absurde

Mignonnes (Maïmouna Doucouré, 2020)

S'il y a un film français cette année qui a fait parler de lui, encore que cela soit pour les mauvaises raisons, c'est bien celui de Maïmouna Doucouré. Avant même qu'on le découvre, Mignonnes était déjà condamné à traîner une polémique absurde derrière lui. La gestion de la promotion par Netflix et en particulier son choix d'affiche pour la branche américaine ont non seulement retardé la sortie du film, mais aussi clairement mis a mal sa réception au près du public.

Les accusations de promouvoir la pédocriminalité et l'hypersexualisation de mineures faites au géant du streaming, n'ont pas laissé sa chance au propos du film qui va pourtant dans une toute autre direction.

Un récit d'apprentissage au féminin

Mignonnes est avant tout un film teinté du vécu de sa réalisatrice. Amy, la protagoniste principale, est, tout comme sa créatrice, issue d'une famille Sénégalaise, désormais installée en France. Son quotidien de préadolescente oscille entre un foyer où règne des valeurs religieuses patriarcales et le temps passé avec des jeunes filles de son âge, aux habitudes culturelles plus occidentalisées. Le récit est transposé une génération après, à l'ère des réseaux sociaux et d'internet.

L'élément déclencheur sera cette rencontre avec un groupe de jeunes danseuses de son quartier, qui postent des vidéos d'elles sur les réseaux sociaux. Amy finira malgré leurs différences par s'intégrer à la bande, allant même jusqu'à apprendre à danser en cachette et ainsi devenir une des meneuses. A mesure qu'elle évolue au sein du groupe, le regard d'Amy sur son propre corps change. Elle se redécouvre aux travers des apparats féminins occidentaux (maquillage, vêtements, danses sensuelles). Sa future place de femme dans le monde se fait ressentir, que cela soit à travers le regard traditionnel oppressant de sa mère et surtout de sa tante ou bien à travers celui des garçons et des hommes de son entourage.

Ces deux facettes d'Amy la tirailleront jusqu'à la fin du film, entre peur de décevoir sa famille et peur de perdre la reconnaissance de ses pairs. A la croisée de deux mondes au sein desquels être femme ne veut pas du tout dire la même chose, la préadolescente va devoir se cogner à ces paradoxes maintes et maintes fois pour réussir à trouver un équilibre.

Des corps malmenés et sous contrôle

Il y a d'un côté les pieds fatigués de la mère qui tremblent d'humiliation alors qu'elle doit appeler toute la famille au Sénégal pour leur annoncer le deuxième mariage de son mari. Il y a de l'autre les visages et les corps de ces jeunes filles sujettes aux injonctions de la mode, des réseaux sociaux et au regard que toute une société pose sur elles. Mignonnes dresse un portrait touchant d'une condition féminine tiraillée perpétuellement par les injonctions patriarcales des traditions, des religions mais aussi du progrès...

Maimouna Doucouré nous donne à voir des corps en ce qu'ils sont malléables, sensibles et si puissants à la fois. Des corps qui transpirent le mal-être de celles et ceux qu'ils habitent mais qui sont aussi le berceau de leur délivrance.

Une critique réaliste des dérives des réseaux sociaux

L'avènement des réseaux sociaux a apporté au monde des outils de création, de communication et de partage sans précédent. Le film le dit très bien en nous montrant surtout que ce sont des plateformes attenantes à la vie réelle et qu'elles ne s'y substituent pas. Ils permettent à Amy de faire partie d'un groupe, d'y être reconnue et d'avoir la possibilité de vivre une adolescence plus proche de celle que vivent ses semblables et donc de s'intégrer. Elle se découvre aussi une passion qui l'aide à appréhender son corps, le regard du monde sur celui-ci et par le même temps les codes sociaux indispensables à la vie en société.

Le film dit aussi très bien la vitesse à laquelle les modes, l'opinion publique et aussi les relations humaines peuvent évoluer. Amy n'a effectivement pas tiré que des bénéfices de cette vie en ligne, mais il était nécessaire, comme toute adolescente, qu'elle se cogne à ces problèmes pour mieux se trouver. Les extrêmes (comme le slutshaming) sont aussi montrées, sans tomber dans les clichés, avec tout ce qu'elles impliquent. Les deux sont montrés au même niveau, sans jugement malvenu.

En bref, Mignonnes n'est pas un récit encourageant l'hypersexualisation des filles ou pire la pédocriminalité comme auraient pu nous le faire croire ses détracteurs. Il s'agit plutôt d'une histoire qui dépeint avec sincérité les balbutiements corporels et spirituels de l'adolescence, et la difficulté à être fille, puis femme, et ce à toutes les époques.

C'est un formidable pied de nez à ce débat absurde que de voir que le film représentera la France aux Oscars 2021 pour enfin être apprécié à sa juste valeur.