• 13/11/2020
  • Samantha Rinaldi

Quand la question de la violence policière s'invite au cinéma

Un pays qui se tient sage (David Dufresne, 2020)

Les plus politisés d'entre vous auront compris que ce documentaire réalisé par David Dufresne est directement inspiré d’une vidéo publiée sur internet en décembre 2018. Elle « met en scène » une classe de lycéens se faisant interpeller de manière brutale par les forces de l’ordre à Mantes-La-Jolie, elle-même filmées par un des policiers présents. Qu’à cela ne tienne, la tonalité du message est donnée dès le titre : questionnons et critiquons un pays qui, par le biais de ses « forces de l’ordre », oblige des adolescents de 15 ans à rester trois heures dans une position douloureuse et humiliante, pour le simple plaisir du policier, qui détient la légitimité de la violence pour maintien de l’ordre.

La question centrale d’Un Pays Qui Se Tient Sage est donc : l'Etat a-t-il le monopole légitime de la violence ?

Sorti le 30 septembre 2020 en France,le film totalise dès son premier jour d’exploitation près de 10 000 entrées, pour seulement 85 copies. Ce dernier est monté en trois parties majeures, découpées par le biais de citations de philosophes. Les intervenants ont la parole, et commentent les vidéos projetées à l’écran par groupes de deux. Ainsi, la caméra n’est ici que le modeste observateur d’une discussion qui se joue, elle-même commentatrice de la violence policière qui se (re)joue à l’écran.

Le film commence dans une douceur éclatante, par une introduction doucement intimiste, où conversent presque en chuchotant deux mutilés des gilets jaunes. Le photographe, Edmond Carrere, est au plus près des peaux. Il glisse le long des traits fatigués de lutter, et n’ayant nul attrait pour l’apparat, laisse les visages s’éclairer au fur et à mesure des émotions.

C’est ici la plus belle qualité de ce documentaire : la sensibilité avec laquelle toute son équipe choisit de filmer et de traiter de ce sujet si délicat. Il eut été facile de tomber dans une sorte de voyeurisme malsain avec la quantité de vidéos de mutilations et de violences policières qui traînent sur internet. Mais, et c’était là le souhait de Dufresne, le montage est toujours fin, toujours attentionné. Il donne l’impression que la caméra n’est qu’une oreille qui s’efface volontiers pour laisser parler les vrai.e.s acteur.rice.s de la réalité sociale.

Nos mutilés Gilets Jaunes qui donnent le la au documentaire ne sont pas les seuls intervenants de l’histoire. On rencontre un peu plus tard le journaliste et militant antiraciste Taha Bouhafs, qui débat houleusement (plus qu’il ne discute) avec le représentant syndical Alliance Police National, Benoît Barret. Le débat est on ne peut plus intéressant, car a priori, ces deux hommes sont opposés en beaucoup de points. L’un cherche à « représenter ses collègues » (selon les mots de Dufresne durant la conférence qui suivit la projection du film à Montpellier, le soir du 21 septembre 2020), prouver que la violence n’est pas seulement du côté de la police ; l’autre, quant à lui, défend le droit à l’information pour tous, et accuse la violence gratuite des forces de l’ordre. Il prend en exemple une vidéo de décembre 2018 : une dizaine de CRS matraquant quatre Gilets Jaunes sur le sol d’un Burger King, dans lequel ces derniers s’étaient réfugié des gaz lacrymogènes.

Ici encore, on ressent la volonté documentariste de Dusfresne, loin de nier la diversité des points de vue afin de clamer et d’asséner sa propre opinion. Au contraire, il choisit de montrer et d’ancrer dans le temps une fresque politique, sociologique et anthropologique, qui se veut témoin de son époque. En utilisant des vidéos pour une grande majorité issue de manifestations des Gilets Jaunes, il prend en compte le rôle de cette force grandissante que sont les réseaux sociaux et la vidéo amatrice. Là où régnait la terreur et le silence, au creux des banlieues comme au milieu des cortèges ; là où la violence éclatait en secret, les téléphones sont devenus de puissants alliés – et ça, Dufresne l’a bien compris.

Finalement, le documentaire nous questionne également sur notre rapport aux images : à force de voir toutes ces vidéos de violence noyées dans nos fils d’actualité, ne finissons-nous pas par banaliser ces injustices ?

Fermer les yeux sur ce documentaire – et tout le retentissement qu’il amène et amènera avec lui - c’est refuser de voir qu’il y a bel et bien un problème urgent de communication, d’échanges et de considération entre les gouvernants et les gouvernés. Il faut se poser la question brûlante de l’utilisation des forces policières répressives – et si vous ne savez par où commencer, ou si vous continuez votre réflexion sur le sujet - ce documentaire est une clef indispensable pour comprendre notre époque et notre pays.