• 23/11/2020
  • Nina Grandjean

Un vent de liberté dans les rues de Casablanca

Razzia (Nabil Ayouch, 2017)

Trois ans après la polémique autour de son long métrage Much Loved (2017), le réalisateur Nabil Ayouch revient avec Razzia, film engagé et courageux, qui évoque les maux d’un pays aux racines encore très ancrées dans la monarchie qu’est le Maroc. À travers cette oeuvre critique, Ayouch raconte de manière subtile les problèmes liés au patriarcat et au sexisme dû aux traditions du régime. Ces thématiques, présentes dans nos quotidiens à tous, sont abordées ici avec le regard attentif et conscient du cinéaste.

À travers Razzia, Ayouch s’intéresse directement au peuple marocain en colère, aux personnes qui luttent pour le changement. À Casablanca, on suit 5 protagonistes d’horizons différents, touchés de près par des règles sociales drastiques et inéluctables. Les citoyens subissent les normes jusqu’à n’en plus pouvoir. Leurs histoires et destins se croisent, se répondent. Le film relève grandement les défauts et contraintes qui s’imposent à eux.

"Qu’importe la langue si vous leur ôtez la voix. Qu’importe la foi, si vous leur ôtez leurs rêves…" s’exclame Abdallah

Les personnages ont tous un rêve commun, vivre comme ils l’entendent. Le réalisateur les intègrent les uns après les autres au récit, en nous présentant leurs points de vue et rébellions face aux contraintes qui se dressent sur leurs chemin, Ayouch crée un lien entre leurs parcours: celui des luttes qui se rejoignent vers un seul but partagé, le désir d’être libre.

On commence par Abdallah (Amine Ennemi), l’instituteur berbère qui se bat pour le maintient de l’apprentissage de sa langue à l’école. Puis, on rencontre Salima (Maryam Touzani), une femme qui rêve de liberté, mais aussi de s’émancipation vis-à-vis de son mari. S’ensuit le portrait d’Ines une jeune fille bourgeoise coupée des réalités de la société dans laquelle elle évolue, qui rêve de voir ses parents lui porter plus d’attention. Le personnage de Joe (Arieh Worthalter), restaurateur juif qui vient témoigner la cohabitation des religions dans le pays, et prend soin de son père âgé en mettant de côté sa propre vie. Hakim (Abdelilah Rachid), un jeune homme homosexuel nous est présenté plus tard. Il trouve du réconfort dans son amour pour Freddie Mercury, mais souffre des pressions liées à son orientation sexuelle que lui fait subir son père conservateur.

Les thèmes de l’amour interdit, de la préservation de certaines traditions culturelles ou religieuses, ou encore des droits des femmes sont nettement évoqués à travers le film, notamment à travers les histoires de Salima et d’Ines qui subissent fortement les restrictions patriarcales de la société de part leur façons de s’habiller ou de se comporter en public. Le cadre fictionnel du long métrage s’élargit très vite sur une critique plus subtile et indirecte de la société marocaine, de ses moeurs, de ses lois, de sa corruption ou encore de son intolérance.

Les combats relayés par ces cinq portraits montrent leur persévérance vers une ouverture d’esprit et un changement devenu nécessaire pour eux. La mise en avant d’une volonté de bousculer les normes et les codes est indéniablement montrée à travers ces récits. Hakim avec la musique, Abdallah avec son besoin de préservation du patrimoine. Les personnages vont à l’encontre des règles gouvernementales fixées.

Le sentiment de délaissement des protagonistes est manifeste. Il luttent pour leurs droits mais sont poussés à bout par un système injuste de par son refus d’évoluer avec son temps. La puissance des messages est aussi justifiée que poignante, chacun peut se reconnaitre à travers eux. Certaines communautés souffrent de ces contraintes sociétales, et les mouvements de révolte qui viennent y faire face se multiplient.

Dans Razzia, la situation politique marocaine nous est présentée d’un point de vue intérieur au pays. Avec un regard parfois inconscient et extérieur aux problématiques marocaines, nous nous rendons compte des complexités et différences entre les sociétés, grâce aux récits dont Ayouch nous fait part. Ainsi, en regardant Razzia par la première fois, le spectateur découvre, apprend, se laisse emporter par des luttes qu’il va essayer de comprendre, en s’attachant et en ressentant de la compassion vis à vis des différents personnages.