• 17/11/2020
  • Justine Meunier

Le doute scorsésien

Shutter Island (Martin Scorsese, 2010)

Shutter Island relate une enquête dans un labyrinthe dont la sortie n’est peut-être pas celle que l’on croit. Scorsese joue entre la frontière du réel et de la folie pour nous faire douter sur ce que l’on prenait au début pour une évidence. Cette manipulation spectatorielle nous oblige alors à avoir un oeil plus attentif sur le film, et à repérer le moindre indice nous permettant d’atteindre la vérité.

L’intrigue semble au début introduire un film policier des plus banals : deux marshals, Teddy Daniels et Chuck Aule ont une affaire assez simple à résoudre. Ils doivent se rendre sur Shutter Island, une île où se trouve un hôpital psychiatrique de haute sécurité afin d’enquêter sur la disparition d’une patiente : Rachel Solando. Mais alors qu’on commence à se prendre au jeu, un doute s’installe petit à petit dans l’esprit de Teddy et du spectateur : Rachel a-t-elle réellement pu s’enfuir de l’asile ?

On sait dès le départ que l’hôpital cache quelque chose en raison des plans menaçants en contreplongée de l’immense bâtiment entouré de barbelés, ainsi que des plans rapprochés des nombreux regards hostiles des gardiens. Rien n’est dit concrètement, tout est subjectif et donne lieu à une interprétation presque Freudienne, que l’on retrouvera dans les rêves étranges de Teddy où les mises en scène ne semblent plus avoir de limites par leur aspect surréaliste, voire même extravagantes : une pluie de cendres à l’intérieur d’une maison qui donne vue sur un paysage aux couleurs improbables, ou bien un manoir aux tons rouges et jaunes qui introduit d’abord une ambiance luxueuse et chaleureuse, avant de devenir une scène horrifique emplie de flammes et de sang. Tout ceci remet en question la santé mentale du personnage : sont-ce des rêves, des hallucinations ou bien la réalité ? Scorsese s’inspire aussi de quelques talentueux cinéastes, en instaurant une ambiance tendue digne des films de Hitchcock comme Vertigo, ou en reprenant la fameuse scène de l’allumette dans Lawrence d’Arabie réalisé par David Lean.

Shutter Island nous embarque dans ce qu’on pourrait apparenter à un véritable « doute cartésien ». Développée par Descartes, cette notion philosophique implique de devoir douter des évidences afin de trouver la vérité grâce à la raison. Ainsi, le spectateur et le personnage remettent tout en question : le but de l’enquête, les intentions du directeur, jusqu’à la propre identité de Teddy Daniels. Je pense donc je suis, mais qui suis-je ? Teddy s’enfonce alors dans un labyrinthe de plus en plus sombre face à ces doutes qui ne cessent de s’accumuler, et ne pourra atteindre la sortie libératrice qu’une fois sa véritable identité trouvée.

Cependant même la fin semble encore assez floue et laisse place à de nombreuses interprétations. Qui est réellement Teddy ? Il finit par répondre à cette question en choisissant d’être celui qu’il préfère, quitte à abandonner sa véritable identité : « Quel est le pire : de vivre comme un monstre ? Ou de mourir comme un homme bon ? » (Teddy Daniels).

Le film Shutter Island de Scorsese est donc un thriller psychologique qui traite le thème du doute cartésien à travers de sublimes mises en scène surréalistes. C’est un film qui n’a pas d’explications concrètes et qui peut donc être interprété comme chacun le souhaite, tout comme le montre le personnage de Teddy qui, au final, ne choisit pas d’être celui qu’il est mais plutôt celui qu’il veut être.

Scorsese nous enseigne une très belle leçon de vie. Le monde peut être comparé à un jeu de rôle, avec des règles bien précises et une identité imposée dès la naissance que nous sommes censés conserver toute notre vie. Sommes-nous alors obligés de garder ce même rôle et de suivre un parcours défini ? Ou devrions-nous pouvoir choisir quel chemin prendre et quel personnage jouer ?