• 27/11/2020
  • Nicolas Jouque

Le sang noir de la terre

There Will Be Blood (Paul Thomas Anderson, 2007)

There Will Be Blood est le cinquième long-métrage de Paul Thomas Anderson. Il nous a habitué à montrer des personnages qui rencontrent des problèmes internes comme la solitude ou la colère mais aussi des problèmes externes tels que des confrontations dans une famille ou contre une communauté. Nous retrouvons ces thématiques qui sont chères à Paul Thomas Anderson. Cherchant à changer de registre à chaque nouvelle oeuvre, il nous replonge dans la fin de l’Old West et donc la fin de la colonisation de l’ouest américain.

C’est dans ce contexte historique que l’on verra alors Daniel Plainview, un ancien prospecteur qui a fait fortune grâce au pétrole accompagné de son fils âgé d’une dizaine d’années H.W Plainview. Daniel l’a adopté alors qu’il n’était encore qu’un nourrisson et que son vrai père meurt dans un puits de pétrole au début du film. Ils font face à une communauté de fidèles de la «Troisième Révélation». Dirigée par Eli Sunday, cette communauté religieuse est réticente à voir le sol être exploité pour extraire le pétrole. Cette confrontation n’est pas qu’idéologique et Daniel va devoir se battre pour s’assurer de se réussite financière dans ce lieu hostile. La violence ne serait-elle pas inséparable du capitalisme lié au rêve américain? Cette violence est dépeinte à la fois par les actions des personnages et par la mise en scène.

« Pourquoi tu fais cette tête ? On a un océan de pétrole sous les pieds ! » – Daniel Plainview

Le titre l’annonce, il y aura du sang. De la première à la dernière séquence, la mort est omniprésente autour de cette entreprise d’exploitation pétrolière. Mais au lieu de ralentir Daniel et de le questionner sur la nature de ses travaux, cela le motive à aller toujours plus loin. La violence semble aussi être le dernier recours de Daniel face à ses concurrents mais aussi ceux qui le trahissent, à savoir un imposteur qui se fait passer pour son frère Henry. Mais la violence ne s’arrête pas là et n’est pas que physique; elle est aussi émotionnelle. Il est question de solitude, de trahison et d’incompréhension, c’est l’homme face à l’Homme.

En plus de dépeindre la solitude et la folie de Daniel, Anderson donne forme au capitalisme brutal américain. La mise en scène dans des lieux arides et déserts, où seule la foi unit les habitants, montre que l’avidité des hommes est présente partout. Même si elle est bien enfouie en eux, tel le pétrole enfoui sous leur terrain, Daniel parvient à convaincre les habitants et à souiller cette terre exempte de présence humaine. Petit à petit, ce désert est aménagé pour y construire une ville accueillant les chercheurs de pétrole et leurs familles. On assiste réellement à la fin de l’Ouest sauvage et à la naissance d une nation basant sa richesse sur le pétrole.

La fin de la conquête de l’Ouest permet à Anderson de mettre en scène un western qui se différencie des canons du genre. On retrouve ici la vision du mythe du western de l’historien Frederick Jackson Turner basée sur l’autoentreprise et l’entraide tout en critiquant l’impact de l’argent sur les individus. Bien qu’on soit témoin de la réussite de Daniel dans sa propre entreprise, qu’il doit former une entraide avec Eli et que l’argent ne mène qu’à la violence; la vision de Turner est pervertie car il cherche à faire ressortir le bon des personnages mythiques de l’Ouest. Mais Paul Thomas Anderson nous présente qui ne sont attirés que par la réussite financière même s’ils doivent passer par la violence. L’argent corrompt l’individu et détruit les valeurs sociales et morales qui donnent les fondations de la société américaine données par Turner. Cette corruption intérieure aux personnages est par moments matérialisée à l’écran par le pétrole qui jaillit brusquement du sol et causant par la même occasion des accidents graves.

Pendant le premier quart d’heure, le film nous dévoile Daniel que l’on va suivre pendant son ascension financière mais aussi en folie et vers la solitude. Même si cette séquence introductive est presque dépourvue de dialogue, elle nous présente à la fois Daniel en tant que protagoniste et les thèmes intrinsèques d’Anderson. D’abord il est question de solitude, le film commence avec lui seul dans une mine et finit avec lui seul en vie dans le champ. Puis il y a la communauté symbolisée par les chercheurs de pétrole ainsi que l’église de la Troisième Révélation. Enfin la famille lors de l’adoption de H.W et son baptême dans le pétrole par Daniel après la mort de son vrai père.

« Plus j’observe les gens, moins j’ai envie de les aimer »

Ce baptême dans le pétrole est ce qui va lier Daniel et H.W dans la réussite. Daniel a besoin de lui pour s’attirer la sympathie de ses futurs clients et H.W a besoin d’une figure paternelle. Si leur lien est si important, c’est parce que Daniel n’hésite pas à rappeler sa misanthropie. Pendant la première moitié du film, H.W est le seul personnage qui réussit à attendrir Daniel. Pourtant il va être incapable de le comprendre de manière littérale suite à un accident causé par l’explosion d’un derrick de pétrole le rendant sourd. On peut y voir un parallèle avec le réalisateur qui a eu des problèmes relationnels avec son père durant son enfance. Ce moment est un passage important pour Daniel qui commence à s’éloigner de son fils adoptif et donc de ce qui le rend humain. Mais il essaye vainement de se rapprocher de lui afin de satisfaire son égo quand ses concurrents mentionne l’état de santé de H.W. Les liens sont définitivement coupés quand Daniel avoue à H.W, devenu adulte, qu’il a été adopté et qu’il n’est «pas de son sang».