Entretien avec Lina Soualem
Réalisatrice de Leur Algérie (2020)
Aujourd’hui, nous avons décidé d’aller à la rencontre de Lina Soualem. Après ses multiples apparitions au cinéma en temps qu’actrice ou doubleuse, elle décide de passer derrière la caméra en réalisant son premier long métrage documentaire Leur Algérie en 2020. Nous lui avons posé quelques questions pour mieux comprendre son parcours et les envies qui l’ont menées au besoin de faire le film.
Est-ce-que tu pourrais te présenter, nous dire d’où tu viens, nous parler e ton parcours ?
Je m’appelle Lina Soualem, j’ai 30 ans. Je suis née et j’ai grandi à Paris. J’y ai fait toute ma scolarité. J’ai obtenu une double licence d’histoire et de sciences politiques à la Sorbonne, puis un master en relations internationales. Au cours de mon master, j’ai eu l’occasion de faire un stage de journalisme à Buenos Aires, en Argentine, où j’ai vécu pendant un an et demi. C'est durant ce séjour que j'ai découvert le milieu des festivals, notamment de documentaires. J'ai commencé par être bénévole dans un Festival de Cinéma des Droits de l’Homme à Buenos Aires, puis on m’y a proposé un poste en tant que programmatrice de la section films du Moyen Orient : c'est comme ça que j'ai eu mon premier job de programmatrice. J'ai découvert le format documentaire, et ça m'a vraiment plu parce que ça m'a permis de combiner, à la fois mon amour du cinéma et de l’oeuvre cinématographique et mon intérêt pour les sujets de société, politiques, culturels et sociologiques, que j’explorais à travers mon parcours universitaire.
Tu as plus ou moins toujours baigné dans le milieu du cinéma avec tes parents. Est-ce-que ce domaine a, dès le début, été une évidence pour toi, ou au contraire tu souhaitais faire autre chose? Qu’est-ce-qui t’as donné envie d’y retourner ?
C'est une bonne question, en effet mes deux parents sont comédiens et j'ai effectivement baigné et grandi dans le cinéma, dans les images.
Un parent comédien revête une forme très concrète et visuelle dans la vie d'un enfant. Au départ, c’est un domaine que je rejetais, non pas parce que je n’aimais pas ce que mes parents faisaient; j’ai toujours admiré leur travail, j'adorais les voir dans des films. Toutefois, de mon point de vue d’enfant, c’était un milieu que je trouvais un peu ennuyeux. Quand on m’emmenait sur des plateaux de tournage je m'ennuyais, l’attente était longue.
Finalement, j'avais besoin de trouver ma propre voie, ma propre forme d’expression. J'ai toujours été très studieuse à l’école, j’étais passionnée par l’apprentissage de l’histoire, la science politique, la sociologie. Je me disais « le cinéma c'est totalement autre chose ». C’est artistique, c'est visuel. C’est plus tard en grandissant, en découvrant le documentaire, que le cinéma m'a paru être un outil de transmission qui permettait de redonner de la complexité a beaucoup de choses : à l’individu, à toutes ces histoires qui nous traversent et nous entourent, et ce à travers l’expression artistique de la forme cinématographique.
J’avais une autre voie à parcourir, et le destin m’a ramenée au cinéma.
J’avais rejeté le monde du cinéma, en me disant que j'avais une autre voie à parcourir, et le « destin » m'a ramené au cinéma. Je crois que j’ai toujours su au fond de moi que j'allais y revenir, mais je n'osais pas me l'admettre. Je n'avais pas envie de tomber dans la « facilité » qui était de faire comme mes parents. J'avais envie d'explorer d'autres univers, et j’y suis finalement revenue par le biais du cinéma documentaire. Pour commencer, c'était ce qui m’était accessible, car je n'avais jamais rien fait avant Leur Algérie, c’était mon premier film.
Que représente le cinéma pour toi? Est-ce que tu te considère comme cinéphile ?
Le cinéma est pour moi comme un intérêt naturel, ayant grandi dans ce milieu. Mes parents vivent du cinéma et c'est toute leurs vies. À huit ans, mon père me montrait Les Sept Samouraïs (1954) et les films d’Elia Kazan (rires). Je pense que j'étais un peu trop jeune pour tout saisir, ce sont des films que j'ai dû revoir adulte. Je me rends compte aujourd’hui que le cinéma a toujours énormément fait partie de ma vie. Au delà d'être cinéphile, le cinéma a fait parti et continue de faire partie de ma construction et ce n’est pas un bien non essentiel, pour faire référence à l’actualité (rires).
Avant la réalisation de Leur Algérie, tu as fait quelques apparitions au cinéma de manières variées. En effet, tu as prêté ta voix pour des films d’animation (Wardi, 2019), tu as également eu des rôles dans quelques films, récemment on a pu te voir dans Tu mérites un amour (2019) de Hafsia Herzi. Comment est-ce-que le passage par ces différentes facettes du métier t’ont menée au désir de réalisation?
Pour l'instant je n'arrive pas tout à fait à me définir, ni comme réalisatrice, ni comme comédienne. Je mets un peu des tirets partout, parce que j’ai eu beaucoup d’expériences différentes. En dehors du cinéma j'ai aussi travaillé dans la coopération humanitaire, la diplomatie culturelle, la musique … J’ai fait des choses très différentes les unes des autres, ce qui n’est pas toujours évident aujourd’hui parce qu’on est dans des époques où on nous demande de choisir une seule voie et de se spécialiser dans celle-ci. Donc, ça a toujours été un peu difficile pour moi de définir ce que je faisais. Même mon père qui a décidé d'être mime à 18 ans, m’a toujours dit qu’il ne sait pas trop quoi répondre aux gens qui lui demandaient ce que je faisais comme métier (rires).
C’est vraiment au moment ou je sens que j’ai un besoin vital de raconter une histoire que je me lance.
Leur Algérie m'a permis d’affirmer mon travail dans le cinéma. En plus d’avoir développé le film pendant plusieurs années, il en a résulté une oeuvre et je peux dire que je suis la réalisatrice de cette oeuvre : un rêve devenu réalité. J'aime pouvoir combiner différentes facettes de mon expérience dans le cinéma. J’aime beaucoup faire du doublage, j’aime énormément le jeu aussi, mais je ne me considère pas comédienne, ce n'est pas quelque chose que je fais à plein temps.
Quand on me propose des projets, en général je suis mon ressenti ; si quelque chose me plaît je suis prête à le tenter, j’aime multiplier les expériences, même si parfois elles ne mènent à rien ou sont un échec. J’aimerais peut-être développer un projet de fiction dans le futur, mais je prends le temps. C’est vraiment au moment ou je sens que j’ai un besoin vital de raconter une histoire que je me lance.
Je pense que Leur Algérie c’était ça : c'était une histoire qui existait dans un coin de ma tête et je savais qu’un jour je voulais la raconter. J’ai décidé de faire le film au moment où j’ai ressenti une sensation d’urgence, une peur de perdre mes grands-parents au moment de leur séparation après 62 ans de mariage. C’était un besoin vital.
De sa naissance à sa concrétisation, combien de temps a pris le projet de Leur Algérie?
Ça a pris à peu près trois-quatre ans. Entre les premières phases d’écriture, les premiers pitchs en festival, les tournages avec la production, puis le montage. On a terminé le film en 2020. La première projection du film était au festival Visions du Réel (festival international de cinéma de Nyon, CH) en 2020.
Quelles sont tes ambitions par rapport au cinéma actuel et de demain, aimerais-tu apporter, avec ton travail, un nouveau regard sur le cinéma ?
Je ne me permettrais pas de dire que je vais apporter un nouveau regard parce que je pense qu’il y a déjà beaucoup de beaux regards existants. Toutefois, je pense que notre expérience individuelle permet de contribuer à l'expérience collective. Il y a des sujets qui me tiennent beaucoup à coeur : la mémoire, la transmission ou la place de la femme dans la société. Notre expérience individuelle est unique : un regard nouveau apportera toujours quelque chose. J’essaye toujours de travailler dans l'authenticité la plus totale, c’est pour ça que le documentaire me passionne : je filme le réel avec toute ma subjectivité. Je trouve que la fiction est peut-être plus difficile parce qu’il s’agit recréer une forme de réel. En réalité, je ne sais pas si c'est plus simple de filmer le réel ou de le recréer, ce sont deux processus différents.Il y a une nouvelle génération d’enfants et de parents qui viennent d’ailleurs, qui ont une place dans la société française, qui peuvent apporter beaucoup à la mémoire actuelle et à la mémoire collective, pour aller au-delà de ce qui circule dans les médias. Il est important quand on sent qu’on a quelque chose à dire, d’essayer de le dire, que ça marche ou pas. On a le droit à l'erreur et de ne pas arriver au bout, mais on a aussi le droit d'estimer que notre voix doit exister.
C'est très important quand on sent qu!on a quelque chose à dire, d'essayer de le dire, que ça marche ou pas.
Ma génération à la chance d’avoir accès à l'éducation, ce qui nous permet de prendre de la distance et d’avoir du recul sur notre propre histoire. Nos aïeux n’avaient peut-être pas accès à tout ça, ils étaient souvent happés par le travail, par la nécessité de survivre et de « s’intégrer » à la société française. Il est temps pour nous de raconter nos histoires nous-même et de nous les ré-approprier, pour ne pas toujours se voir à travers le regard des autres.
Comment est-ce-que la crise sanitaire, liée au Covid-19, que l’on traverse a-t-elle affecter ton travail ? Penses-tu que cette période va impacter l’avenir de ton métier?
En ce moment c'est très difficile. Le début de la pandémie a coïncidé avec la première mondiale de Leur Algérie. Quand on commence un film on se demande toujours si on va arriver au bout, puis on y arrive et le covid débarque (rires). Je me suis demandé si c'était un obstacle de plus : est ce que le covid fera partie de l’histoire du film? J'avais beaucoup de craintes, de déception et de tristesse. Certains festivals se sont déroulés en ligne ce qui a permis au film de commencer à exister. Le format en ligne nous permet de continuer à échanger et voir des oeuvres, temporairement. Mais sur le long terme c'est quand même une expérience qui peut être très superficielle et très solitaire. Partager un film c’est surtout rencontrer le public : l’interaction humaine est essentielle.
Je me dis que le cinéma existera toujours, a toujours existé, qu’il y a une force de transmission à travers les films qu'on ne retrouve pas ailleurs, et qu’il faut se battre pour que ça continue d’exister.
Pouvoir voir le public en salle, sentir les réactions, débattre avec eux, recevoir des retours en direct. C’est des sensations uniques.
J'ai eu la chance de montrer le film à quatre festivals en octobre. En France à Berck-sur-mer (festival international du film indépendant Cinémonde), à Montpellier (festival du cinéma méditerranéen Cinemed), à Rome (Rome Film Festival) et en Égypte (El Gouna Film Festival). Ces projections étaient des moments extraordinaires. Pouvoir voir le public en salle, sentir les réactions, débattre avec eux, recevoir des retours en direct : ça m’a redonné de l’espoir. Je me suis aussi rendu compte de la limite de tout ce qui est en ligne, que je ne critique pas du tout parce que je pense que c'est très important car ça permet à beaucoup de gens qui n’ont pas accès à la salle de voir des films. Mais il faut continuer à pouvoir projeter les films en salle, à organiser des débats et des rencontres avec le public. Ce sont des expériences uniques qui provoquent des sensations dont je n'avais même pas osé rêver. En faisant le film, je rêvais souvent des moments où je le partagerais avec le public, et le moment venu c'est tellement intense et fort, et à la fois ça passe tellement vite, que j’ai envie de le vivre de nouveau (rires) et j'espère revivre ça l'année prochaine, en 2021, lors de la sortie en salle du film en France.