• 28/11/2020
  • Nina Grandjean, Chloé Lairet

Entretien avec Pauline Quinonero

Réalisatrice et productrice (Too Many Cowboys)

Dans le cadre de la revue Mégaphone, nous nous sommes entretenues avec la jeune réalisatrice et productrice, Pauline Quinonero au cours d’un bref entretien téléphonique. Elle nous présente son parcours professionnel et nous livre ses intentions sur les films qu’elle réalise et produit, et partage avec nous ses sentiments sur ses multiples fonctions dans le milieu du cinéma.

Pourrais-tu te présenter brièvement, nous parler de ton parcours, des études que tu as fait, de ton travail actuel ?

J’ai commencé le cinéma en licence à l’Université Paul Valéry de Montpellier. Au cours de mes études, je me suis rendu compte que j’avais envie de faire des films, j'ai donc continué en Master recherche avec en tête la volonté de réaliser mon premier court-métrage : Dancing Stars. Je l’ai tourné en parallèle de mon parcours universitaire, mais il résonnait beaucoup avec mon mémoire de recherche de l'époque qui questionnait l’ambiguïté et l’érotisme au cinéma. Après cette année de master, j'ai fait le choix de poursuivre en production. J'avais envie de découvrir la pratique de la production car mon désir de faire des films résonnait beaucoup avec la nécessité de comprendre comment se pensait leur fabrication, ce qui se jouait en amont et en parallèle du tournage. J’avais également envie de rencontrer des personnes qui me ressemblent, qui partagent la même vision du processus créatif que moi. Dans le cadre de mon cursus en production, j'ai eu la chance de rencontrer Rodolphe Olcèse, avec qui j’ai fait un stage au sein de Too Many Cowboys. Avec Rodolphe, nous avions justement la même façon sensible et passionnée d’envisager le cinéma, des goûts et des valeurs communes aussi. Il produisait principalement du documentaire et des formes expérimentales, toujours avec une grande attention portée à la liberté des auteur·ice·s, en dépit du système dans lequel il s’inscrivait.

Photogramme de Florence (2019), le deuxième court-métrage de Pauline Quinonero

Ce stage a été très formateur car Too Many Cowboys étant une petite structure, j’ai été très vite immergée dans le coeur du métier. Rodolphe m'a laissé toute la place dont j’avais besoin pour me responsabiliser tôt vis à vis de la pratique de la production : il m'a permis de commencer à produire au début de mon stage, ce qui était assez exceptionnel. À la fin du stage, j'avais toujours un film en développement au sein de Too Many Cowboys, ma première production (My Lover The Killer de Marc Hurtado) et c’est donc à ce moment-là que Rodolphe m'a proposé que l’on s’associe. C'était le meilleur moyen pour moi de continuer à développer des films tout en le faisant pour moi, à mon compte. C'est donc comme ça que j'ai véritablement commencé à produire, directement après mes études, avec en tête le désir de continuer à faire des films.

Rodolphe Olcèse a fini par quitter la structure, ce qui m’a permis de m'associer avec mon amie réalisatrice Emma Séméria, que j’ai rencontré peu de temps après la fin de mes études en accompagnant son film Les Enfants de la baie. Nous avons toutes les deux une même vision du cinéma et surtout la même envie de faire des films et de défendre, en tant que réalisatrices ou productrices, des idées émancipatrices et des représentations invisibilisés dans le système du cinéma. Nous sommes aujourd’hui toutes les deux productrices et gérantes de la société Too Many Cowboys. Nous produisons et réalisons nos propres films mais aussi ceux d'autres cinéastes qu’il nous tient à coeur d’accompagner, tant pour des raisons artistiques qu’humaines.

Enfin, en parallèle de la production et de la réalisation, j'ai continué mon parcours universitaire en doctorat. Je suis en troisième année et je fais une thèse sur la fabrication des films, justement, dans laquelle je mets en parallèle la vision à la fois politique, philosophique et intime que j’ai du cinéma et la réalité de sa fabrication.


Comme tu réalises des films, aurais-tu un message que tu aimerais transmettre à travers tes réalisations ? C'est quoi ton envie de cinéma à toi ?

Au départ, c'était vraiment une envie très esthétique. J'avais envie d'images, de filmer des corps, ça partait d'un vrai désir, d'une vraie impulsion artistique. Au fil du temps, j'imagine aussi en grandissant, je me suis rendu compte que oui, il y avait bel et bien une envie purement esthétique, mais qu’il y avait aussi une nécessité presque politique et même philosophique, d’écrire et de mettre en scène des histoires et des représentations qui, à titre personnel, m’ont manqué.

Sans parler de message à proprement parler, j’aime penser que les films posent plus de questions qu'ils n'y répondent, mais que ces questions sont fondamentales. C'est une manière personnelle de vraiment déployer des problèmes ou de mettre en crise certaines choses, de susciter un devenir et un trouble, de ne jamais rester statique dans mon rapport au monde et d’essayer, du mieux que je le peux, de partager cette énergie. Je n'ai pas la prétention de croire que mes films délivrent des réponses. Je pense que le cinéma est justement intéressant parce qu'il nous stimule intellectuellement, sans nous donner de solutions toutes faites. Il nous rend vivant.

En revanche, si je devais formuler plus précisément ce que j'ai envie de véhiculer, ce serait évidemment un message plus inclusif, des images plus justes de notre réalité et de plus fidèles représentations des personnes discriminées (notamment les personnes racisées et la communauté LGBTQIA+). Des images qui nous libèrent toutes et tous et nous encouragent à être nous-mêmes. Par exemple, je prends soin de créer des personnages qui ne soient pas enfermés dans un genre, réduits aux présupposés d’un corps, et j’essaye de détruire du mieux que je le peux ces catégories que je trouve restrictives. Pour moi, il est important de créer des récits qui font aussi appel à la sensation, se permettent de ne pas absolument coller avec le quotidien ou avec la réalité systémique, et mettent en scène le désir, les ressentis, l’élan vital, tout ce qu'on peut traverser et qui n'est pas nécessairement plébiscité dans notre paysage cinématographique actuel.

Photogramme de St. Jude (2021), le troisième court-métrage de Pauline Quinonero

J'ai vu récemment que tu travaillais sur un nouveau projet de court-métrage, pourrais-tu nous en dire plus ? Comment le projet est né en toi ? Comment est-ce que tu as pu le mener à bien compte tenu des contraintes liées à la crise sanitaire ?

Je travaille effectivement sur mon troisième court-métrage, St. Jude, que j'avais commencé à écrire juste après le tournage de Dancing Stars. Il raconte l’histoire d’un groupe d’amies qui voue un culte à une présence surnaturelle qui hante le quartier où elles vivent. Une nuit, l’une d’elles, Florence, disparaît et c’est l’histoire de sa disparition que le film raconte depuis la voix d’Elisabeth qui l’aime et la cherche sans relâche. C’est un film d’amour et de foi, qui parle de ce qu'on décide de croire ou non dans le régime du visible et de l’invisible.

C’est un projet qui a été compliqué à financer parce qu’il est pensé et écrit comme une succession de souvenirs et n’est pas linéaire dans sa narration, comme pour mes précédents films. Il est attaché à des émotions, à des sensations et parfois à des idées volontairement abstraites et poétiques.

À l’époque où je n’étais pas encore productrice, je n’ai pas réussi à trouver quelqu’un·e qui veuille l’accompagner. Finalement, et heureusement, j’ai décidé de le produire moi-même, seule puis avec Emma, mon associée. Même si l’accueil du projet dans les commissions n’a pas été heureux au départ, nous avons choisi de tourner coûte que coûte avec d'autres subventions, plus alternatives, parce qu’il était hors de question pour nous de renoncer au film. J’ai commencé la préparation du tournage en janvier 2020 : j’ai constitué mon équipe, fait des castings, etc. Le tournage devait avoir lieu en mai 2020, puis il y a eu la Covid-19 donc il n'a évidemment pas eu lieu à ce moment. Nous l’avons d’abord repoussé au mois de juillet, mais c'était encore trop tôt à mon sens par rapport à la crise sanitaire et à ses inconnues. Nous l’avons finalement tourné en octobre 2020, en Bretagne.

C’est pendant le confinement que mon ultime demande de subvention à la Région Bretagne et à son comité Innovation-recherche a reçu une réponse positive. Cette commission est réservée à des films qui ne sont pas vraiment des films de fictions, qui ne sont pas non plus des documentaires, mais qui veulent expérimenter formellement, ce qui était en adéquation avec le projet – bien que je considère St. Jude comme un film de fiction, malgré tout. Ce soutien a été le miracle du confinement (rires). D’autant plus qu’il a été suivi d’un soutien de la PROCIREP et de l'ANGOA.

Malgré tout, St. Jude a mis beaucoup plus de temps que prévu à se faire mais il est enfin tourné, et nous sommes heureusement passées entre les mailles du filet du second confinement, mioctobre. Nous avons eu l'impression de lutter contre vents et marées pour le faire exister, mais je crois que faire des films représente très souvent une bataille contre des éléments extérieurs qui viennent perturber et déjouer ce que l'on veut mettre en place, même si ça se passe rarement aussi difficilement qu’avec les contraintes liées au virus.

Photogramme de Florence

Est-ce compliqué pour toi de combiner les études, la réalisation et la production ?

C'est beaucoup de travail, ça me demande parfois de prioriser certaines choses pour ne pas me laisser submerger. La réalisation est très prenante parce que j’ai envie d’être immergée entièrement dans mon processus de création, ce qui requiert toute mon énergie, et la production est une pratique très chronophage, avec laquelle il est difficile de mettre des limites. Ce sont des métiers de passion, et il est très facile de se laisser déborder, ce qui peut rapidement devenir éreintant, même si c’est également stimulant. Je pense que ce qui rend le tout supportable pour moi, c'est que chaque partie de mon travail est liée par la même envie. Il n’y a pas de différence entre ma vie et tout ce que je fais pour le cinéma, je ne compartimente pas vraiment mes émotions ou mes pensées. Lorsque je produis des films, que j’en réalise, et que j’écris à propos du cinéma, j’ai l’impression de travailler dans le même sens, avec le même alignement et les mêmes désirs. Ce que je défends du cinéma est en symbiose avec la manière dont je le fabrique, comme réalisatrice ou productrice. Les films que je produis sont souvent des films qui ressemblent, de près ou de loin, à ce que j’aimerais partager au monde. C'est aussi pour ça que je prends soin de travailler avec des personnes qui m’enthousiasment humainement, et avec qui je peux tisser de véritables relations.