Errance dans les ténèbres : des films qui explorent les zones d’ombre
Le mois de l'horreur (Octobre 2020)
Spider (David Cronenberg, 2002)
La peur n’est pas le seul chemin qui mène aux ténèbres. On peut y trouver une forme d’attirance, une fascination inexplicable poussée non seulement par notre curiosité, mais aussi par les limites de notre nature humaine : chercher au-delà, c’est se transcender. Qu’il s’agisse de la psyché d’un être humain à la communication hermétique, ou de l’exploration d’un univers qui nous dépasse, notre volonté de trouver le Beau dans ce que les normes culturelles considèrent comme laid est dans notre nature, à n’importe quelle échelle.
Pour commencer mon errance dans les ténèbres, j’ai choisi de m’intéresser à la psyché humaine : ses retranchements, ses souvenirs oubliés et ses désirs refoulés. Spider (réalisé par David Cronenberg, 2002) raconte la lutte d’un homme schizophrène avec son passé. Le film exploite avec brio une thématique commune, qui sous-entend une peur refoulée : pourquoi mentons-nous à nous-mêmes ? La réponse du film est sans pitié, cruelle, et clôt parfaitement cette plongée dans la tête de Spider.
L’enfance, et particulièrement les relations parents-enfants font preuve d’une telle complexité qu’il est à peine surprenant de voir le nombre de films qui les abordent. De la simple relation conflictuelle au traumatisme, les problèmes liés aux parents laissent des marques, et peuvent handicaper à vie, comme il l’est démontré dans Santa Sangre (réalisé par Alejandro Jodorowsky, 1989) ou une mère manchot contrôle les bras de son fils par magie. Avec toute la poésie qu’on lui connaît, Alejandro Jodorowsky aborde une relation mère-fils complexe en magnifiant son film d’envolée surréaliste, dans un monde légèrement différent du nôtre, plus dense en couleurs et en folie. En plus de sa vision d’auteur, le réalisateur n’hésite pas à basculer dans le slasher et à embrasser ses plaisirs cinéphiles, ce qui en fait un mélange surprenant, une oeuvre hétérogène.
Dans Dark Water (titre original : Honogurai mizu no soko kara, réalisé par Hideo Nakata, 2002), la relation mère-fille n’est pas à l’origine de la peur, mais elle sera mise à l’épreuve jusqu’à être défaite. C’est d’ailleurs la force du film : son histoire dramatique crée un sentiment d’empathie fort sur le spectateur, qui est rapidement attachée à cette mère et sa fille contre le reste du monde. Hideo Nakata n’en fait pas qu’un traitement psychologique, mais aussi social, montrant les difficultés d’une mère célibataire à se reconstruire une vie après un divorce au Japon. Malheureusement le film échoue sur ses effets de mise en scène, parfois trop criards (la musique trop insistante), parfois insuffisants (des jumpscares sur seulement un plan d’un sac d’enfant), souvent ratés, et donc peu effrayants.
Dans cette vague de films d’horreur japonais du début des années 2000, un film, remake d’un métrage amateur, a attiré mon attention : Ju-On: The Grudge (titre original : Juen, réalisé par Takashi Shimizu, 2002). Celui-ci est effrayant surtout grâce à sa recherche sonore, puisque l’esprit produit un son qui se répand sur toutes les enceintes (ou le casque), nous englobe, ne laissant aucune échappatoire à notre imaginaire auditif. Néanmoins, je ne sais pas quoi penser du récit, à la fois ludique et excitant, mais d’une complexité que, encore maintenant, j’ai du mal à résoudre.
Tout autant qualitatif sur le plan sonore, Morse (titre original : Låt den rätte komma in, réalisé par Tomas Alfredson, 2008) n’expérimente pas les textures, mais les amplifie, rendant audible tous les petits bruits de bouche propres à la mastication. Mais dans ce cas, il s’agit de viande humaine. Le film réinvente le mythe du vampire en le plaçant dans un contexte réaliste, actuel et même social (montrant par ailleurs les habitations précaires suédoises). Même si le film pourrait être qualifié d’austère, il propose une réflexion intéressante sur la responsabilité et la morale des enfants, et comment ceux-ci sont les premiers touchés des maladresses de moeurs ancrées dans notre culture.
Jouant aussi avec son folklore et ses mythes, mais d’une culture tout autre, Tumbbad (réalisé par Adesh Prasad, Anand Gandhi et Rahi Anil Barve, 2018) nous propose une réécriture actuelle de la légende d’Hastar, dieu indien lié à l’avarice, qui va entraîner un homme dans sa quête à l’opulence, qui sera sa chute. Sous ses airs de conte moderne, le film nous permet de nous effrayer d’autres créatures, d’autres idéologies et d’autres thématiques dont nous avons l’habitude en occident : la peur a bel et bien plusieurs visages, et est différente d’une culture à l’autre.
La folie des hommes est une thématique récurrente dans le cinéma d’horreur, puisque c’est cette folie qui a conduit l’humanité à ses pires heures. La curiosité, la mégalomanie, l’excès ont mené à des états de terreur, des périodes sombres. C’est le cas d’Eddie Jessup dans Au-delà du réel (titre original : Altered States, réalisé par Ken Russell, 1980) : ses expériences transcendantales vont le mener à ouvrir les portes d’un autre monde, que l’humanité n’est pas encore prête à assimiler. Le film reprend tous les codes du scientifique fou dont l’expérience lui échappe, sans pour autant tomber dans les clichés. Avec ses dialogues finement écrits, il bénéficie d’une véritable confiance en l’intelligence du spectateur, mais ne tombe jamais dans un rationalisme froid ou dans une science fictionnelle qui ne serait pas crédible : Au-delà du réel est toujours dans un équilibre parfait. Ainsi, quand les visions psychédéliques (des tableaux cinématographiques qui rendent hommage à l'expressionnisme dans toute sa beauté) apparaissent, le spectateur les reçoit comme de véritables révélations bibliques.
Au-delà du réel (Ken Russell, 1980)
Au-delà du réel n’est pas le seul à ouvrir les portes d’une autre dimension. Hellraiser 2 : Les Écorchés (titre original : Hellbound : Hellraiser II, réalisé par Tony Randel, 1988) déploie la mythologie du premier opus dans toute sa magnificence, dans un mélange entre châtiments organiques et corporels, imagerie BDSM, vertiges métaphysiques et labyrinthes infinis. Ici aussi, la curiosité humaine est un vilain défaut, et plonge nos personnages dans la folie, dans le mal, surtout dans un désir punitif.
La chair n’est pas toujours écorchée par des entités divines, mais plus souvent par des humains. Phenomena (réalisé par Dario Argento, 1985) dépeint la cruauté humaine d’abord en la cachant (le mystère du film réside autour de l’identité d’un serial-killer), puis en la montrant dans toute sa violence, comme le giallo a pour habitude de le faire. Le point culminant d’hémoglobine arrive dans le climax, où les corps, autrefois enveloppés d’êtres humains, ne sont plus qu’une masse désincarnée dans lequel on se noie. Face à la cruauté humaine, Jennifer, héroïne du film, préfère se tourner vers les insectes, qui, comme le spectateur, peuvent voir ce qui est invisible tout en restant extérieurs au situation. C’est sur ce point que Phenomena fascine : voir ce qui est trop petit pour nos yeux.
Hommage aux gialli, L’Etrange Couleur des Larmes de ton Corps (réalisé par Hélène Cattet et Bruno Forzani, 2014) partage la même fascination de ce qui est invisible. Avec une mise en scène expressionniste, le film sonde des scènes que nous pensions déjà connaître (principalement concernant des sorcières ou des tueurs en série) pour les revisiter avec un nouveau regard. L’inventivité de la réalisation séduit par sa générosité, qui peut-être manque de dosage parfois, mais ne semble jamais vaine.
Pour conclure, la perception des ténèbres ne se fait pas sans un avertissement concernant notre subjectivité, qu’importe le rôle que nous remplissons autour d’une oeuvre. Nous sommes sujets à nos croyances, nos illusions, nos tentations, que nous soyons personnages ou spectateurs. Même si les ténèbres nous attirent pour des raisons rationnelles (la curiosité, la volonté de comprendre ce qui nous dépasse), c’est notre instinct qui nous pousse à franchir le seuil de la porte, à affronter notre peur, jusqu’à, peut-être, la dominer.