• 02/12/2020
  • Justin Dreveton

Plaisirs sadiques : des films pour s’amuser

Le mois de l'horreur (Octobre 2020)

Evil Dead 2 (Sam Raimi, 1987)

Remontant à la tradition personnelle (mais répandue) qu’est Halloween, mes premiers émois horrifiques remontent à l’adolescence, âge où l’on veut tester ses limites, tout en s’amusant. En mémoire à cette période de ma vie (et universelle), mais aussi en hommage à l’aspect festif d’Halloween, j’ai tenu à regarder des films d’horreur ludiques, amusants, et parfois même consciemment, peu qualitatifs.

Mon mois de l’horreur commençait mal, puisqu'il se révèlera être le pire film de mon corpus : La Malédiction (titre original : The Omen, réalisé par Richard Donner, 1976). Le film raconte une simple histoire de malédiction où un enfant (qui par ailleurs, est très absent du film, probablement à cause de son jeu peu convaincant) est habité par un esprit maléfique. Le film peine à sortir de ses clichés et à avoir une proposition qui marque. Malgré une première scène au montage intrigant (le choix esthétique d’un rythme aussi saccadé aurait pû être intéressant pour le reste du film), et un dilemme du personnage principal intéressant (un père adopte un enfant en le volant à la maternité), l’histoire est en pilote automatique, et la mise en scène, pourtant parfois stylisée, a du mal à le rattraper. La comparaison avec L’Exorciste est inévitable (alors qu’il est sorti 3 ans avant), et La Malédiction n’arrive pas à la hauteur, ne le dépassant pas en frayeur, et ne renouvelant pas le sous-genre de l’exorcisme dans l’horreur.

Afin d’assouvir mes désirs de possession, je me décide à regarder Conjuring : Les Dossiers Warren (titre original : The Conjuring, réalisé par James Wan, 2013) qu’on me conseille depuis des années. Comme le film précédent, celui-ci n’a pas de surprise à offrir. Pour autant, bien que classique et assez attendu, il parvient à nous tenir en haleine pendant ses 2 heures avec un scénario d’une efficacité exemplaire et une mise en scène qui sert parfaitement ses quelques frayeurs. James Wan est peut-être un réalisateur de commandes, un “faiseur”, mais il connaît et maîtrise les codes du genre, nous démontrant que même sans grande originalité, un bon film d’horreur peut être efficace.

Dans la même démarche, mais dans un contexte très différent, Peninsula (titre original : Bando, réalisé par Yeon Sang-ho, 2020) a été décevant. Après Un Dernier Train Pour Busan qui bénéficiait d’un concept et une mise en scène rafraîchissantes, la suite piétine à nous intéresser, puisque le premier opus mettait la barre trop haute pour nos attentes. Le film, handicapé par sa longueur et son récit trop alambiqué, n’est qu’une redite, un best of des thématiques des films de zombie, mais sans saveur. Malgré quelques personnages hauts en couleur et quelques scènes dérivées du post-apo intéressantes, c’est son prédécesseur que l’on retiendra sur le long terme.

Les morts peuvent marcher, mais ils veulent aussi se venger. Au revisionnage des deux premiers Evil Dead (titres originaux : The Evil Dead, 1981 et Evil Dead 2 : Dead by Dawn, 1987, réalisés par Sam Raimi), on s’aperçoit de leur intelligence. Après le premier visionnage, j’en avais gardé un souvenir attendri : deux petites séries B ludiques et sans grande ambition qui m’avaient fait peur et rire. En les revoyant, je me suis rendu compte à quel point Sam Raimi, malgré ses plans excentriques et son montage hyperactif, réfléchit sa mise en scène. Le premier Evil Dead fait vraiment peur, au même titre que tous les gags d’Evil Dead 2 font mouche : Sam Raimi, derrière ses airs de “sale gosse”, contrôle tout ce qu’il filme.

Pour sortir de la cabane, et entrer dans une maison, tout en restant dans la série-B, House (titre original : Hausu, réalisé par Nobuhiko Obayashi, 1977) m’a retourné la tête. Il est difficile de le résumer, puisque son pitch (une bande de lycéennes se rend dans un manoir reculé pour leurs vacances) ne laisse pas présumer tout le potentiel esthétique du film. De la musique d’une redondance hypnotique aux couleurs saturés digne des photographes Pierre et Gilles, du jeu burlesque de toutes les actrices au montage épileptiques de certaines scènes, le tout passant par un kitsch étouffant mais fascinant dans son approche baroque, House est un véritable ovni, qui n’est pas à mettre devant tous les yeux.

House (Nobuhiko Obayashi, 1977)

Si l’on reste dans les propositions extrêmes dans le cinéma de genre japonais, on tombe rapidement sur Tetsuo (réalisé par Shinya Tsukamoto, 1989), film mi-expérimental mi-onirique, dont le montage nous perd dans une histoire qui paraît pourtant simple. Avant-gardiste dans le genre du cyberpunk, Tetsuo en explore ses thématiques les plus récurrentes : la chair et la machine (on pense y voir d’ailleurs quelques clins d’oeil à Cronenberg), la perte d’humanité, notre relation à la ville et à notre matérialisme. D’une durée d’une heure dix, qui est très dense et bien suffisante, on est embarqué, qu’on le veuille ou non, dans une oeuvre viscérale, organique et catalysante.

En restant dans la série B, je me suis arrêté sur From Beyond (réalisé par Stuart Gordon, 1986), dont quelques images m’avaient intrigué. Malheureusement, ça a été la déception : le vertige lovecraftien est mal exploité, le récit manque de dynamisme et les personnages, bien que sympathiques aux premiers abords, manquent de surprise dans leur évolution. Malgré tout, on retient du film des créatures et des éléments organiques magnifiques de laideur, à la limite d’en faire jalouser The Thing.

En parlant de créatures, on en voit les limites numériques dans Fantômes contre Fantômes (titre original : The Frighteners, réalisé par Peter Jackson, 1996), où l’on sent la distance entre les acteurs et les créations par ordinateur. Le film n’a d’ailleurs pas assez pour convaincre : une sensation de divertissement “feel good” propre à ces années (qui m’a rappelé les films live-action Scooby-Doo) et une poignée de personnages cartoonesques convaincants, malheureusement obscurcis par une prévisibilité assommante.

Quelques années après, il n’est pas très difficile de trouver un film d’horreur ludique, comme Destination Finale (titre original : Final Destination, réalisé par James Wong, 2000). Pourtant bien ancré dans l’imaginaire horrifique de ma génération, je ne le rattrape que maintenant, ne me faisant pas d’illusion : la nostalgie a servi la mémoire du film. Néanmoins, je suis agréablement surpris de voir que le film fonctionne à son visionnage. Son concept permet de transcender de simples scènes de slasher qui aurait pu être prévisibles autrement, et créer un suspense semblable à un match de foot, où on a plaisir à le regarder entre amis.

Les raisons du plaisir procuré en regardant un film d’horreur sont variées : le film peut être ludique, drôle, terrifiant… Ou tout à la fois, comme Creep (réalisé par Patrick Brice, 2014), un faux-documentaire qui mélange talentueusement de l’humour cringe propre au genre (l’égo du personnage principal peut faire penser à Michael Scott dans The Office) à une tension sous-jacente qui rappelle les pires psychopathes du cinéma d’horreur (on peut y sentir une influence de Norman Bates de Psychose). Le visionnage de ce film provoque une inquiétante étrangeté, un sentiment familier provoqué par le rire, mais qu’on ne peut pas détacher d’une légère paranoïa, surtout avec cette scène, qui nous fait froid dans le dos.

Ainsi, le cinéma d’horreur peut indiscutablement avoir des qualités ludiques et fédératrices. La peur ne rime pas forcément avec l’angoisse ou l’effroi : on peut prendre plaisir à se faire surprendre, sursauter, ou rire devant des litres de jus de tomate. Le pouvoir de la fiction accorde ce détachement, et permet un divertissement réflexif, qui questionne notre morale, mais révèle aussi nos vices de la manière la plus inoffensive qui soit.