C'est grave, docteur ?

Grave (Julia Ducournau, 2016)

  • 10/10/2019
  • Louise Gagnaire

Huit ans après sa sortie du département scénario de la Fémis, Julia Ducournau écrit et réalise son premier long-métrage pour le cinéma : Grave. Celui-ci a été présenté au festival de Cannes 2016 dans le cadre de la Semaine de la critique.

Justine rentre à l’école vétérinaire où elle retrouve sa sœur ainée. Les premiers jours de classe sont rythmés par un bizutage intensif. Elle cherche sa place, commence par résister aux ordres absurdes de ses « aînés », puis cède peu à peu face à leur acharnement. Au milieu du tumulte : ses propres démons. Végétarienne d’éducation, elle découvre les plaisirs de la chair.

Le corps est un objet central dans ce film : qu’il soit contraint comme celui des animaux manipulés et des bizuts assujettis, contrôlé comme dans les anecdotes d’une infirmière et les injonctions de la sœur, ou encore désiré. Julia Ducournau commente cet intérêt en interview : « Je ne voulais plus un corps qui soit un fantasme pour les hommes et une illusion pour les femmes, mais trouver la vérité universelle qu’il y a dans le corps féminin ».

Julia Ducournau signe un film singulier, au scénario et à la photographie fouillés, qui n’ont pas fini d’interroger le spectateur. Il se construit autour d’un épicentre particulier : le compas moral. Celui du spectateur, qui se trouve déboussolé puisqu’il est déjà entré en empathie avec le personnage principal lorsqu’elle saute le pas. Celui de la masse uniforme d’étudiants qui se complaît dans les rôles de bourreaux et victimes, les bourreaux parce qu’ils ont déjà été victimes, les victimes parce qu’elles deviendront à leur tour bourreaux… Et plus encore celui de Justine, qui fait le choix de redéfinir les lignes. En faisant un pas vers l’immoral, elle teste les limites de l’ordre moral qu’elle adoptera ensuite.

Le film tend vers l'émancipation. [...] Quelque chose s'anime en [Justine] : un souffle de liberté.

Le déterminisme, qu’il soit moral (via l’intégration de normes et tabous), social (via les injonctions à la beauté plus ou moins intégrées) ou familial (via le lourd héritage que l’on devine en filigrane tout au long du film), confirmé par les révélations de la toute dernière scène, est un autre thème central de ce film. Les mécanismes déterminants ne sont pas exposés comme des états définitifs, au contraire : le film tend vers l’émancipation. Pour Justine, cela commence par une sortie du cocon familial plutôt crue, qui la laisse seule face à ses désirs et aspirations. De manière insidieuse, l’émancipation se déplace sur d’autres terrains : le refus de céder à ses penchants cannibales, le refus de condamner le comportement de sa sœur, le refus de se laisser enfermer par le regard des autres. On sent quelque chose vibrer dès les premières scènes où, bien que forcée de suivre le flot des bizuts, elle ne cache pas sa désapprobation. Quelque chose s’anime en elle : un souffle de liberté, que résument à merveille les mots de son père qui viennent clore la narration : « Je suis sûr que tu trouveras une solution ».