De la violence gratuite
Thirst (Sebastian, 2018)
C'est la seconde collaboration de Gaspar Noé avec le producteur SebastiAn, qui va davantage bouleverser les limites de la représentation de la violence dans les clips musicaux.
Le producteur français SebastiAn a travaillé avec de grands noms de la musique et du cinéma, comme Charlotte Gainsbourg, Frank Ocean ou Quentin Dupieux. Thirst est son deuxième album, sorti le 8 novembre 2019 (pas moins de huit ans après Total). Pour concevoir le clip de son nouveau single, il a fait appel à Gaspar Noé, qu’il considère comme l’un des meilleurs dans la représentation de la violence.
Le clip nous plonge dans une boîte de nuit aux lumières étincelantes. On y suit un protagoniste dont la crête iroquoise (courte) et les lunettes rappellent le Travis Bickle de Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976). Il tente de draguer une jeune femme à plusieurs reprises, en vain. Puis finit par lui asséner une violente gifle en plein milieu de la piste de danse, ce qui déclenche une bagarre virant au pugilat à l’encontre de cet agresseur seul contre tous.
Le clip se distingue du tout-venant par sa complexité chorégraphique, son éclairage maîtrisé, son jeu d’acteurs sans faute, la précision de son maquillage, de ses bruitages, de ses accessoires, ainsi que son recours à un plan-séquence favorisant notre immersion fictionnelle. La chorégraphie redouble le rythme musical de la scène. Les coups de poing sont donnés soit en même temps que les pics musicaux, soit en contre-point sonore (à l’image de la gifle assénée à la jeune femme). Lorsque la musique se « calme », la bagarre se retrouve en suspens, comme si la musique dirigeait diégétiquement l’action.
La simplicité narrative et le travail formel contribuent à produire des sensations pures. Le clip nous injecte une dose de violence pulsionnelle, dénuée de tout message. Dans les derniers instants du clip, SebastiAn se montre face caméra avec, derrière lui, ses hommes de main, tandis que l’indésirable est prestement mis dehors. Cette disposition scénique place l’artiste dans la peau d’un démiurge tout-puissant. Gaspar Noé le désigne comme le maître des lieux.
Un petit bémol, tout de même : les références de Noé à son propre cinéma (de Climax à Seul contre tous) rendent la violence qu’il dépeint assez familière, donc moins percutante. Ces autocitations pourraient devenir lassantes à la longue, car elles donnent l’impression que le cinéaste a trouvé une « recette » qu'il se contente désormais d’appliquer systématiquement. Dans tous les cas, comme on pouvait s’y attendre, sa collaboration avec SebastiAn ne manque pas de faire des étincelles et de provoquer de vives réactions, dans un sens ou dans l’autre.