Notre corps, notre choix

Indianara (Aude Chevalier-Beaumel et Marcelo Barbosa, 2019)

  • 12/12/2019
  • Gabrielle Lerable

Indianara est un documentaire qui nous fait suivre deux ans de la vie d’Indianara Siqueira. Femme, transgenre, racisée, mais avant tout militante, révolutionnaire et très persévérante, Indianara est suppléante au conseil municipal de Rio de Janeiro et coordonne la Casa Nem (un refuge et squat pour personnes trans). Aude Chevalier-Beaumel et Marcelo Barbosa l’ont suivie entre 2017 et 2019, tantôt dans des moments intimes, tantôt au cœur de manifestations assez tumultueuses.

Sous le soleil de plomb brésilien, le film s’ouvre sur les images d’une procession funèbre. Indianara prononce quelques mots, non préparés, naturels, mais forts. Elle maîtrise son discours, vit intensément sa lutte, tous les jours, depuis des dizaines d’années. Il y a en cette femme une rage magnifique : rage de vivre, rage de ferrailler pour la survie d’une minorité persécutée et de plus en plus en danger dans ce Brésil tombant dans l’extrême droite. Indianara se bat pour les droits humains, pour une démocratie qui n’oublie personne : ni les LGBT ni les personnes racisées, les sans-abris, les prostituées, ou les invisibles stigmatisés par Jair Bolsonaro.

« Alors oui, il faut parler des putes, des gays, des lesbiennes, des travestis et des transsexuelles ! » – Indianara Siqueira

Dans un entretien consacré au film, Clémence Zamora-Cruz, porte-parole de l’Inter-LGBT, note : « Le documentaire en général permet de se poser un moment, d’être spectateur de la réalité ». En effet, ici, la caméra nous plonge au cœur de la vie d’Indianara et de la Casa Nem, et nous montre deux versants de son existence. Il y a d’une part la vie d’une activiste, en première ligne de toutes les manifestations, marraine aimante et intransigeante à la Casa Nem, tenant sa place au conseil municipal de Rio. C’est le portrait d’une femme forte, de pouvoir, qui fait face avec bravoure à l’expulsion de la Casa Nem, à l’assassinat de la conseillère municipale de Rio Marielle Franco (militante des droits humains et LGBT), puis à l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro en janvier 2019.

On la voit sur tous les fronts, tentant de réduire les injustices, courant les rues de la deuxième plus grande ville de Brésil. Mais les épreuves endurées par une militante sont dures, et les émotions jamais très loin. Si son grand cœur est son moteur, sa force, ce qui la pousse à s’investir autant dans sa lutte, on la voit aussi épouvantée lors de la victoire de Bolsonaro, et dévastée dans le cortège suivant l’enterrement de Marielle Franco. Dans ces séquences bouleversantes, Indianara marche dignement, banderole à la main, mais pleure aussi, soutenue par ses proches. C’est l’autre facette de ce documentaire : une vision intimiste d’une figure publique.

Les deux cinéastes dépeignent également la réalité d’une personne normale : les réveils difficiles, la complicité avec son mari, les joies et les peines existentielles. Au-delà de sa vie politique, on retrouve Indianara à demi ivre, chantant pour son mari, ou bien se chamaillant avec ce dernier dans des moments d’une infinie tendresse. La caméra s’approche suffisamment d'elle pour nous captiver, mais sans jamais dépasser la barrière du privé. C’est sans doute là la grande réussite du film : tenir son cinéma à bonne distance, nous faire éprouver les vicissitudes de l’histoire, et donner foi en ce combat – non sans embûches – pour les droits humains.