Une ode à la corporalité et au désir

Mektoub my love : canto uno (Abdellatif Kechiche, 2018)

  • 07/11/2019
  • Elina Said

Ce sixième long-métrage d’Abdellatif Kechiche est sorti en mars 2018. Il s’inspire librement du roman La Blessure, la vraie de François Bégaudeau. L’argument est simple : en 1994, Amin retourne dans sa ville natale de Sète le temps d’un été. Il y retrouve sa famille, ses amis d’enfance et les lieux qu’il fréquentait dans sa jeunesse. L’atmosphère respire la chaleur et la sensualité, s’y entremêlent la lumière aveuglante de l’été, l’eau salée et les corps qui s’y déploient.

Un regard porté sur la corporalité

Dès la scène d’ouverture, le spectateur se retrouve au cœur d’une scène sexuelle où les corps des acteurs fusionnent et accrochent le regard. Les formes de l’actrice Ophélie Bau nous saisissent et nous envoûtent dès les premières minutes. La peau, la nudité sont mises en lumière pendant trois heures. Il ne s’agit cependant pas d’un voyeurisme malsain, mais d'une ode à la corporalité. Celle-ci dépasse la notion classique d’intrication du corps et de l'âme, pour mettre en valeur le corps comme le tout de l'homme interrogeant la subjectivité humaine et comportementale. Kechiche donne chair à cette idée en abordant tous les points de vue possibles sur ces corps – du gros plan au plan large où tous ces corps se mélangent.

Mektoub my love : canto uno est une nature morte en mouvement.

Les corps ne sont pas réduits à de simples objets sexuels, mais constituent plutôt des sources de fascination dignes des statues de la Grèce Antique. Ils sont les sujets d’une divinisation. La scène où tous les personnages jouent dans l’eau après le pique-nique sur la plage illustre bien cette confusion des corps. Les silhouettes s’entremêlent dans le contre-jour et la mer ; nous nous retrouvons face à un tableau digne des Trois Grâces de Raphaël, où sont représentées les déesses romaines de l’Allégresse, de l’Abondance et de la Splendeur. Autant de notions que ne cesse de questionner le film de Kechiche (lequel ne se contente pas de nous livrer une ode à la splendeur de la jeunesse : les personnages plus âgés jouent aussi un rôle d’importance dans cette dynamique du regard et de la contemplation des mouvements corporels). Mektoub my love : canto uno est une nature morte en mouvement. Les éléments simples de la vie y sont mis en valeur – littéralement flattés – par la caméra.

Une ode au désir

Kechiche nous pousse à la contemplation en sublimant sans cesse des scènes de tous les jours. Celles-ci se révèlent volontiers sensorielles, la chaleur du soleil et la douceur de l’eau qui effleure les corps sur la plage produisant un effet d’extase galvanisant. Le scénario n’est pas l’enjeu réel du film. Kechiche ne mise en effet aucunement sur les rebondissements. Au contraire, il porte son attention sur les sens et les sentiments – en premier lieu le désir, qu’il métaphorise et soumet à notre voyeurisme spectatoriel.

Mektoub my love : canto uno est une ode au cinéma. Si cet art se veut par essence l’art du visible, le film met en abîme cette nature à travers le désir de voir et de représenter. Notre attention est portée sur des situations quotidiennes, brouillant les frontières entre fiction et réalité. Notre vision se mêle à celle du personnage principal, Amin, qui capte des instants de vérité tout au long du film grâce à son appareil photo.

Le film de Kechiche illustre la vie sans la heurter par un montage excessif. En effet, son désir de montrer s’exprime dans la longueur inhabituelle des plans : plutôt que de nous pousser à nous focaliser sur un événement particulier, il nous laisse déambuler dans son film pour y trouver notre place. Difficile de ne pas être enivré par une telle ode à la vie et à ses multiples délices…