Donner voix aux jeunes filles turques
Mustang (Deniz Gamze Ergüven, 2015)
En mai 2015, Mustang est sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs du festival de Cannes. La sortie dans les salles de cinéma françaises a lieu le 17 juin 2015. Le film attire finalement 650 000 spectateurs. La sortie en Turquie le 6 septembre 2015 est plus problématique, en raison des polémiques suscitées par le sujet central du film.
Mustang raconte l’histoire de cinq sœurs orphelines élevées par leur grand-mère dans le village d’Inebolu, en Turquie. Le dernier jour de l’année scolaire, elles rentrent chez elles à pied le long de la mer avec des amis. Elles vont se baigner, s’amusent en montant sur les épaules des garçons, se font tomber à l’eau. La scène d’ouverture relate un souvenir d'enfance de la réalisatrice, Deniz Gamze Ergüven. Ce jeu innocent va être jugé obscène.
La scène du retour de l'école et des jeux dans l'eau est essentielle : par elle se nouent le drame et l'enfermement des cinq sœurs. Leur oncle Erol les conduit à l'hôpital pour qu'un médecin s'assure de leur virginité. La maison se transforme progressivement en prison, les tâches ménagères remplacent l’école et les mariages commencent à s’arranger. Les cinq sœurs contournent les limites qui leur sont imposées, mais à chaque sortie révélée au grand jour, elle se retrouvent davantage contrôlées et enfermées.
Être femme en Turquie
La scène du repas entre les sœurs, l’oncle et la grand-mère (qui vient ponctuer la première heure du film) illustre bien l’image de la femme considérée comme un objet de soumission. Le discours entendu hors-champ à la télévision (« La femme doit être chaste, pure et connaître les limites qui lui sont administrées. Elle ne doit pas rire devant tout le monde et être tentatrice par chacun de ses gestes ») renvoie à l’influence du corps dans le film et à l’oncle qui a violé Ece.
« Je ne me le formulerai que bien plus tard mais le cœur de Mustang est là : dans ce filtre à travers lequel on regarde les femmes en Turquie, qui sexualise chacune de leurs actions, chaque parcelle de leur peau et qui permet de dessiner des lignes extrêmement rigides autour de leur vie. » – Deniz Gamze Ergüven
Depuis l’annonce de son mariage forcé et cet enfermement, Ece est considérée comme une femme corrompue. La condition des femmes est centrale dans le film via le mariage forcé, la virginité imposée, la pureté qu'il faut sans cesse afficher. Ici, elle est montrée par l’autorité de l’oncle et le décolleté d’Ece. Celle-ci porte une robe blanche et large qui est le symbole de l’innocence, mais elle est déjà corrompue. Et elle ne veut pas accepter cette condition.
Écho à des événements actuels
Certaines références font écho à l’actualité turque de ces dernières années. Dans la scène du repas, on entend la voix du vice-premier ministre, Bülent Arinç, dire au cours d'une allocution télévisée qu’il est « indécent pour une femme de rire en public ». En Turquie, cette déclaration a été suivie d’une grande vague de protestations et, sur les réseaux sociaux, des femmes ont posté des photos d’elles en train de rire aux éclats.
Les thèmes de l'enfermement et de l'émancipation, au centre du film, trouvent une équivalence dans la construction du récit qui repose sur l'ouverture et la fermeture. Ce film est inspiré de la condition réelle des femmes en Turquie et leur imagine, pour certaines, un destin au dénouement heureux. Mustang a donc le grand mérite d’exister et de répondre à une certaine urgence contemporaine.