Jeux de mains, jeux de vilains ?
Pickpocket (Robert Bresson, 1959)
Sorti en 1959, Pickpocket raconte l’histoire de Michel (Martin La Salle), un jeune homme d’apparence ordinaire qui s’éprend du vol par la méthode du vol à la tire (ou « pickpocket »). Le film suit ses péripéties tandis qu’il croise la route (par le biais de cette activité) d’autres voleurs, mais aussi celle de Jeanne (Marika Green), une jeune femme pour qui il éprouvera une affection particulière.
Une fois n’est pas coutume, le vol par pickpocket est ici perçu non comme un acte de lâcheté mais comme une pratique artistique, tant la complexité de son exécution se fait ressentir dans les plans où il est mis en scène. Pas de musique forçant une adrénaline quelconque, pas de montage accéléré : Bresson nous communique le stress et la gêne de la situation par un silence plombant et une alternance récurrente de plans entre les mains en action et le visage de Michel, qui sait (comme le spectateur) que sa fourberie ne tient qu’à un fil.
« Je n’avais plus les pieds sur terre, je dominais le monde. » – Michel
Dans ce film, les mains ont une place et une façon d’être filmées particulière. Toute la fluidité de leurs mouvements se manifeste à travers le vol ; c’est par elles que tout passe, la notion de pratique artistique se voyant accentuée par l’agilité de gestes comparables à ceux d’un pianiste. Le parti pris de se concentrer sur les mains pose la question de leur représentation, à la limite de la sensualité – un aspect aussi perceptible à l’affection que porte Jeanne à Michel. Ce dernier ne lui portera cependant que peu d’intérêt, trop obnubilé qu’il est par son « art » du vol, avant de réaliser que les relations humaines comptent aussi.
Bresson met en scène toute la tension qui accompagne le geste du vol, pour le rendre jouissif et addictif. Il s’écarte du long-métrage classique mettant en scène un manichéisme latent, préférant confondre le bien et le mal. Nous voyons ainsi le voleur comme un héros, et la police comme un antagoniste. Le film questionne le spectateur sur sa position vis-à-vis de ces deux pôles, bouleverse ses convictions en mettant en scène un voleur qui n’a pas l’étoffe d’un bandit mais au contraire celle d’un homme ordinaire et attachant.
Court mais intense, Pickpocket pousse le spectateur à se mettre inconsciemment à la place de Michel lors de ses larcins. Il partage par conséquent ses ressentiments vis-à-vis des aléas et des tumultes de la vie : l’amour, le goût du risque, la fuite d’un morne quotidien.