Claire Mathon, chef opératrice

Une vision empirique de la lumière

  • 12/12/2019
  • Louise Gagnaire

Le 3 décembre dernier, l’université Paul-Valéry Montpellier 3 accueillait Claire Mathon pour une discussion avec les étudiants sur les enjeux du métier de chef opératrice et son travail sur deux films récemment sortis en salle : Atlantique de Mati Diop et Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma. Panorama était dans les rangs pour vous concocter un compte-rendu de cette rencontre.

Parcours professionnel

Claire Mathon a étudié à la prépa Ciné-Sup de Nantes, avant d’entrer à l’École nationale supérieure Louis-Lumière (ENS). Ce qui l’anime d’abord, c’est de réfléchir au langage cinématographique, et plus particulièrement à la manière de raconter des histoires en images. Elle se dit « chef opérateur en herbe » pendant quelques années, travaillant sur de nombreux courts-métrages. À l’ENS, elle se forme à l’argentique, ce qui ne l’empêchera pas de tourner son premier long-métrage en DV (digital video), sans équipe (Pardonnez-moi de Maïwenn, 2006), loin de ses rêves initiaux de grands plateaux et de grosses équipes lumières et machinerie.

Quand on lui demande si elle a des préférences, une patte, elle répond qu’elle « espère ne pas en avoir trop, car il faut savoir se réinventer, se déplacer, se surprendre ». Un élément revient quand même fréquemment chez elle : l’utilisation de la lumière naturelle, à laquelle elle a consacré son mémoire de fin d'études à l'ENS (« Intervenir en lumière naturelle »). Elle rappelle qu’il faut se mettre au service du film, et de la personne qui le réalise. Plus que du noir de la caméra, elle repart « d'une page blanche » à chaque nouvelle collaboration.

Maïwenn dans son premier long-métrage en tant que réalisatrice : Pardonnez-moi

Sur la question du passage du format court au long, elle ne décèle pas de recette : « On ne fait pas forcément les longs de ceux dont on a fait les courts » (et inversement). Les courts-métrages sur lesquels elle a travaillé lui ont quand même permis d'effectuer quelques rencontres déterminantes pour la suite. « C’est en faisant des images qu’on peut se faire connaître, se faire rappeler. Si on fait des images, on nous rappelle pour ça. Si on fait autre chose, on nous rappelle pour autre chose. » Le court-métrage est un moyen de s’essayer, de trouver sa place, de définir ce qu’on l'on attend de ses collaborations. Claire Mathon insiste sur l’importance de ces expériences. Lorsqu’on lui demande ce qu’elle conseille à des étudiants d’université souhaitant se diriger vers des métiers techniques, elle répond qu’il faut faire des images « dès qu’on peut », expérimenter, rencontrer des gens sur des projets…

Sources d'inspiration

Pour préparer la rencontre, les encadrants lui avaient demandé quelques références littéraires. Elle leur a notamment cité Un homme à la caméra de Néstor Almendros (chef opérateur espagnol ayant notamment travaillé avec Truffaut, Rohmer et Schroeder dans les années 1970), en ce qu’il « traverse les années, même s’il est techniquement dépassé ». Il s’agit d’un récit « humble et actuel », venant d’un chef opérateur qui est « au bon endroit ». Pour Almendros, la culture visuelle est plus importante que la technique, qui vient après. Interrogée à ce sujet, Claire Mathon indique que les nouveaux outils, les améliorations techniques permettent de se réinventer sans cesse, mais qu’il ne faut pas oublier qu’ils restent des outils à mettre au service d’une vision à nourrir.

Almendros vante la supériorité de l’invention sur la convention, et si on le lui demande, Claire Mathon est plutôt d’accord avec lui. Elle constate une sorte de tassement de la création, avec des esthétiques qui se ressemblent toutes, alors que l’amélioration des outils permet d'élargir considérablement le champ des possibles. Elle constate notamment qu’une immense majorité des films tournés aujourd'hui le sont avec le même modèle de caméra. Elle ajoute qu’il faut quand même reconnaître qu’il y a de la recherche dans certaines productions.

Lorsqu’on lui demande ce qui fait qu’elle accepte un film, elle sourit et répond ingénument : « C’est une bonne question, ça. J’aime bien la poser aux grands chefs opérateurs quand je les rencontre ». C’est vraisemblablement une histoire de ressenti, un scénario qui la touche, « qui est brillant, remarquable dès la lecture ». Elle lit attentivement les scénarios qu’elle reçoit, et rencontre les réalisateurs avec qui elle souhaite travailler.

Quant aux chefs opérateurs qui l’ont inspirée, elle distingue deux catégories : ceux qui sont inatteignables, qu’elle ne rencontrera jamais, parmi lesquels Almendros et Sven Nykvist (qui a notamment travaillé avec Bergman), et ceux qui « faisaient des films qu’[elle pouvait] faire », comme Agnès Godard ou Éric Gautier. L'une des grandes rencontres de sa carrière est celle d’Alain Guiraudie, avec qui elle a collaboré sur L’Inconnu du lac (2013) et Rester vertical (2016). Elle a eu l’impression de travailler sur L’Inconnu du lac comme si c'était son premier long-métrage, le film correspondant au type de projet dont elle rêvait en sortant de l'ENS.

Le métier de chef opératrice

Interrogée sur les responsabilités qu'implique le métier de chef opératrice, elle revient sur l'influence du réalisateur sur la direction prise par le film. Elle se souvient notamment de son angoisse lors du tournage de L’Inconnu du lac, Alain Guiraudie souhaitant sentir la nuit tomber et la poussant à tourner des images très sombres, à la limite du perceptible. Elle craignait que ce soit trop, et qu’il ne s'en rende pas compte. Finalement, après un visionnage des rushes en salles, le réalisateur se montra ravi de l’effet produit et Claire Mathon rassurée.

Scène de tombée de la nuit dans L'Inconnu du lac

Elle souligne la dimension collective du travail cinématographique : par exemple, les robes de Portrait de la jeune fille en feu ont été créées en collaboration avec la costumière pour les textures, les couleurs, etc. Elles ont fait des essais avec différentes étoffes et différentes lumières, avant d'arrêter leur choix. Sur le travail plus général de la lumière dans ce film, elle explique qu’elle a souhaité suggérer un éclairage à la bougie, tout en s’en affranchissant techniquement. L’éclairage n’a rien de réaliste, mais l’illusion demeure. Au niveau de la direction et de la couleur de la lumière pour les intérieurs, elle s’est beaucoup inspirée de la peinture, notamment de portraits de l’époque, où la lumière semblait émaner directement de la peau, des visages. Céline Sciamma souhaitait que les visages soient les véritables paysages du film, et c'est dans ce sens que toutes deux ont travaillé.

Les robes verte et rouge de Portrait de la jeune fille en feu

Elle sort tout juste du tournage du dernier film de Thierry de Peretti, avec qui elle a déjà travaillé sur Une vie violente (2017). À son retour, « après avoir dormi, je suis allée au musée voir de la peinture », et au cinéma voir des films. « Après avoir disparu pendant trois mois, on veut voir ce que font les autres ». L’idée est donc encore et toujours de se nourrir d’expériences visuelles et culturelles multiples.

Après près de deux heures de discussion, la rencontre s’achève. Quelques inconditionnels se dirigent vers la scène de l’amphithéâtre pour échanger quelques mots supplémentaires avec Claire Mathon. Nous nous éclipsons.