La Septième Obsession et ses débuts
Quand La Septième Obsession s’est-elle créée et quand y êtes-vous entré ?
Adrien Valgalier : La revue a eu une première existence en tant que revue numérique sur Internet aux alentours de 2013. C’était quelque chose de très amateur, des sortes de numéros zéro. L’idée derrière tout ça était de prévoir par la suite un lancement papier, mais c’est vrai que nous n’avions pas de moyens et pas de contacts. Ensuite, on s’est arrêtés pendant un an pour préparer le lancement papier, le temps de trouver les fonds, les contacts, et de commencer à se faire une place dans le milieu. Donc, officiellement, le premier numéro date d’octobre 2015. La revue a aujourd’hui bientôt sept ans.
Le travail sur la revue était bénévole, ou bien vous étiez déjà rémunéré à cette époque-là ?
C’était très amateur, on partait vraiment de zéro. On n’avait aucun investisseur. Le rédacteur en chef a créé ça avec ses fonds personnels, je crois grâce à un héritage de sa grand-mère. On n’était pas rémunérés, et pour les premiers numéros papier c'était la même chose. Ça demande tellement d’investissement qu’on ne peut pas rémunérer les gens tout de suite. Donc oui, il y a eu du bénévolat, mais maintenant on est rémunérés pour chaque article.
À l’époque, quelle était la forme des articles ? Ressemblaient-ils à ceux d'aujourd’hui, ou s'agissait-il simplement de critiques ?
Ça ressemblait un peu à ce qu’on fait aujourd’hui. Bien sûr, il y avait une large part consacrée aux critiques de films, mais déjà on avait cette idée de faire des dossiers. Aujourd’hui, dans chaque numéro on a ce qu’on appelle une obsession. C’est un immense dossier consacré, par exemple, à un genre, à un réalisateur, à une époque. Ce mois-ci [mai 2022], on l’a fait sur Tim Burton. Ce sont des choses qu’on faisait un peu, et de façon plus modeste, dans ces numéros zéro. On faisait également des comptes-rendus de festivals, quand on avait la chance de pouvoir s’y rendre, des comptes-rendus de livres, etc. L’architecture était grosso modo la même, elle s’est affinée ensuite dans la revue papier.
À quel moment la ligne éditoriale s’est-elle vraiment construite ?
Graphiquement parlant, au niveau de la maquette, on a eu deux époques. Avec les numéros zéro puis, quand on s’est lancés en papier, on a retravaillé une autre maquette qui s’est affinée au fil du temps. Ces numéros zéro étaient une bonne façon de faire des erreurs, de se tromper, de s’exercer. On partait tous de zéro, on n’avait aucune expérience, et on était tous passionnés de cinéma. C’était ça le dénominateur commun. Donc c’était un très bon moyen de faire des erreurs sans qu’il n’y ait trop de conséquences. Quand on a lancé la revue papier, on était déjà un petit peu rodés, y compris graphiquement. C’est le beau-frère du rédacteur en chef qui s’occupe de la maquette, de la direction artistique du numéro. Il avait une solide expérience, qu'il a apportée ensuite à la revue papier.
À quel moment le format bimensuel s'est-il imposé ?
Quand on faisait les numéros zéro sur Internet, c’était mensuel. On pouvait se le permettre car on savait que les numéros pouvaient encore être travaillés pour le lendemain. C’était beaucoup plus facile, il n’y avait aucun frais engagé. Pour la revue papier, on s’est dit que ça serait bien de se singulariser. C’est vrai que la plupart des revues de cinéma sont mensuelles, comme Positif, les Cahiers du cinéma, Première ou Mad Movies. On s’est dit que ce serait intéressant de travailler le format bimensuel pour publier quelque chose d’un peu plus long et pour que le lecteur puisse avoir le temps de le lire. Je crois que si on faisait ça tous les mois, on ne s’en sortirait pas. Ça demanderait beaucoup trop de travail et on serait amenés à renier, par exemple, le travail sur la maquette qui prend au moins deux semaines. On ne voulait pas sacrifier ces aspects-là.
Au début, et encore aujourd’hui, avez-vous été bien accueillis par les autres médias ?
Au début, pas forcément. Les gens nous regardaient bizarrement quand on disait qu’on voulait faire une revue papier de cinéma. C’était en 2015, à une époque où tout le monde proclamait la mort du papier. Le rédacteur en chef disait que c’était parce que le papier ne satisfaisait pas. Mais c’est aussi pour ça qu’il meurt, parce qu’il n'est pas travaillé, ornementé et embelli. Nous, ce qu’on voulait faire, c'était quelque chose de très beau, afin de redonner ses lettres de noblesse au papier. Si l’objet était beau et agréable à feuilleter, les gens allaient venir. Et le pari a réussi, ça a stoppé cet accueil un peu hésitant qu’on a pu avoir au début. Puis, au fur et à mesure, on a réussi à s’installer dans le paysage médiatique et maintenant on est assez bien considérés, on n’a pas trop de mal à avoir des interviews, des séances en projection de presse, etc.
Vous disiez qu'au début avec l’association et lorsque c’est devenu professionnel, vous alliez souvent couvrir les festivals. Est-ce toujours le cas actuellement ?
Oui bien sûr, même si ce n’est pas notre priorité absolue. On essaie d’en faire pas mal, que ce soit Cannes, Venise, ou encore Berlin. Dès que l’on est invités, on n’hésite pas à faire le festival de Belfort ou même le festival du film indépendant de Bordeaux. Presque à chaque numéro il y a une chronique sur un festival, on essaie de la maintenir.
La Septième Obsession, une revue singulière
En ce qui concerne le graphisme de la revue, vous laissez beaucoup de place à l’image, contrairement à d’autres revues de cinéma. Est-ce une volonté qui existe depuis le départ, et si oui pourquoi ?
Complètement. C’était l’avis du rédacteur en chef, qui était déjà un grand lecteur de revues de cinéma, et qui était assez frustré et déçu par les revues du moment où il y avait assez peu de place pour l’image. Donc, quand il a pensé La Septième Obsession, un des premiers critères pour le lancement de la revue a été de faire vraiment un bel objet, une vraie revue avec des images, sans que le texte surdomine. Les images étaient importantes pour que, lorsque l’on parle d’un plan, on puisse avoir la possibilité de le voir, de faire l’aller-retour entre le texte et l’image. On voulait aussi une belle qualité de papier. C’est un grammage particulier qui ne ressemble pas à celui qu’on peut retrouver dans un magazine un peu standard, c’était très important qu’on ait une revue agréable à feuilleter. Ce sont des revues bimensuelles, qui paraissent tous les deux mois, qui sont assez longues (plus d’une centaine de pages), donc c'est un objet avec lequel le lecteur ou la lectrice va passer du temps. Il faut que ce soit le plus plaisant possible pour que ce temps long soit des plus agréable.
Cherchiez-vous, avec ce format, à ouvrir la revue à un nouveau public, peut-être plus jeune ? Aviez-vous un public cible ?
Non, pas vraiment. On ne cherchait pas un public en particulier. Alors oui, c'est sûr qu’on est une équipe de rédaction assez jeune, entre vingt et quarante ans, mais à aucun moment on s’est dit qu’on voulait faire une revue pour les 18/30 ans. Peut-être que ça s’est fait inconsciemment et que, dans la manière dont on voulait parler d’un certain cinéma, dont on voulait un peu décloisonner en parlant du cinéma d’art et essai tout en s'intéressant à un cinéma plus commercial, et dont on a organisé la maquette, peut-être que la revue parlait davantage à un public jeune. Mais à aucun moment on n'a cherché à faire une revue pour ce lectorat en particulier.
Qui prend la décision du sujet qui sera abordé dans la revue ? Tout le monde a son mot à dire dans l’équipe ?
C’est le rédacteur en chef et son adjoint qui définissent la structure générale du numéro. Ils dégagent les grandes lignes et, au milieu de cela, on va proposer chacun un article. Le rédacteur en chef nous dit ensuite ce que l’on garde ou non. C’est un travail assez collaboratif, on a rarement un sujet qui nous est imposé. En général, on écrit avant tout sur ce qu’on a envie d’écrire. Il peut arriver que si, sur un film, on n’a pas de chroniqueur, on soit amené à devoir écrire dessus, mais dans l’ensemble on écrit avant tout sur les choses dont on a envie de parler. C’est assez agréable cette idée qu’il n’y ait pas vraiment de commandes, que l’on puisse proposer des sujets. C’est aussi notre revue, ce n'est pas que celle du rédacteur en chef, donc on peut être force de proposition.
Est-ce qu’il y a une ligne éditoriale suivie d’un numéro à l’autre ?
Pas vraiment. On fait essentiellement en fonction de l’actualité cinématographique. Là, je crois que Tim Burton va sortir une série donc c‘était l’occasion. En général, c’est toujours lié à une exposition à la Cinémathèque ou, lorsqu’il y a un film qui fait un peu événement, on va essayer de voir toute l’histoire qu’il y a derrière.
L’objet est beau, mais est-ce que vous vous démarquez aussi d’une autre façon malgré la multiplicité des médias ? Comment exister dans un contexte aussi concurrentiel ?
Je ne sais pas vraiment… On ne cherche pas le commercial, mais on fait avant tout ce que l’on aime sans jamais se sentir obligés de le faire, et c’est primordial. C’est notre goût qui nous guide. On aime bien explorer des figures oubliées ou « secondaires ». On sort par exemple un hors-série sur M. Night Shyamalan, un cinéaste pas toujours très bien accueilli ni considéré, que ce soit par le milieu du cinéma hollywoodien ou d’auteur. On aime bien aller vers des choses qui n’ont pas été approfondies et prouver qu’il y a quelque chose d'intéressant à en tirer. On a un certain engagement dans notre méthode d’écriture, on ne cherche pas à avoir un discours intellectualisant, on parle avec une vraie cinéphilie, un vrai goût pour les images. C’est avant tout une revue de passionnés qui éprouvent un vrai plaisir à parler de leur sujet.
Accordez-vous une place aux séries ?
Oui, une place importante et qui continue de grandir. Ça a probablement participé à singulariser notre revue. On a commencé à parler de séries très tôt, sans faire de distinction entre le cinéma et la série. Elles méritent de l’attention et doivent être considérées comme de vrais objets artistiques dignes d’être interrogés. Lors des deux premières années, on a fait un numéro entièrement consacré aux séries et, encore aujourd’hui, lorsqu’une série intéressante apparaît, on n’hésite pas à en parler. Le cinéma domine mais les séries restent présentes, on en parle de la même façon, avec les mêmes exigences, les mêmes goûts et la même passion.
Et cela vaut aussi pour les films qui sortent uniquement sur des plateformes de streaming ?
On n'a aucun souci avec ça. On a une rubrique « Sur le canapé » consacrée aux œuvres sorties sur plateformes. On avait fait un numéro sur Roma d’Alfonso Cuarón par exemple, qui était sorti sur Netflix en 2018. Dès qu’un film important et qui nous touche sort, qu’importe la plateforme, on en parle.
Être critique de cinéma
Comment êtes-vous devenu rédacteur pour La Septième Obsession ?
J’étais en Licence 2 Cinéma à Paul Valéry et j’avais un ami qui écrivait dans cette revue. Il me disait que comme c’était le tout début, il n’y avait personne et qu'ils cherchaient des gens. Je n’avais pas forcément l’idée d’être critique de cinéma mais je me suis lancé. J’ai tout simplement envoyé un mail au rédacteur en chef, avec peut-être une ou deux idées d’articles, comme ça. Et puis il m’a répondu positivement et donc, à partir de là, j’ai écrit un premier article sur le festival de Cannes – alors que je n’y étais pas allé du tout. À partir de là, j’ai écrit régulièrement dans ces premiers numéros et ensuite, lorsque le premier numéro papier est entré en préparation, j’étais toujours là.
Lorsque vous écrivez, quel est votre lecteur idéal ? À quel lecteur pensez-vous ?
J’essaie de ne pas penser au lecteur, sinon je n’arrive plus à écrire et je risque de me mettre à employer des tournures de phrase uniquement destinées à plaire. J’essaie avant tout d’écrire pour moi, dans le sens où j’essaie de mieux comprendre le film, d’entrer un peu dans son intimité, de le développer, de tirer sur ses fils. J’essaie de retranscrire ce cheminement de pensée. Si ça plaît aux lecteurs, tant mieux, mais j’essaie de ne pas trop penser à eux sinon je pense que ça me bloquerait.
La revue cherche-t-elle encore de nouvelles recrues ? Quelles sont les qualités particulières que vous recherchez lors de ces recrutements ?
Oui, à chaque numéro je vois des nouvelles têtes qui arrivent. Il y a des gens qui sont là depuis quelque temps, mais c'est tellement de travail (des dizaines et des dizaines d’articles par numéro) qu’on ne peut pas tous écrire là-dessus. Comme ce n’est pas notre métier principal, il y en a aussi qui sont un peu moins disponibles à certaines périodes car leur métier principal demande plus d’occupation. Mais oui, on recherche tout le temps des gens. Pour les qualités, c'est avant tout essayer d’être rigoureux, passionné, et d'avoir une belle plume.
Pour finir, que diriez-vous à des étudiants qui souhaiteraient devenir rédacteurs dans une revue de cinéma ?
Dites oui et réfléchissez après, tant que la proposition est raisonnable bien sûr. Il faut tout tenter et emmagasiner le maximum d’expérience. Ç’a été le cas avec La Septième Obsession. Ça partait de rien à l’époque, ça n’avait l’air de pas grand-chose. On ne lui aurait jamais donné cet avenir, on n’aurait jamais pensé qu’elle prendrait cette envergure. Je ne voulais pas devenir critique de cinéma, le but était de m'exercer et, par chance, la revue a bien grandi. Il faut dire oui même si le projet paraît petit : on ne sait jamais comment ça va finir. Grâce à ça, des portes se sont ouvertes pour moi. Il faut profiter de chaque expérience, sans faire la fine bouche.
Le cinéma, c’est un milieu de réseaux. On ne sait jamais qui on peut rencontrer et, parfois, dans un projet qui n’a pas l’air prometteur, on peut rencontrer des gens importants qui nous permettent de grandir. Donc, saisir toutes les opportunités, écrire le plus possible. Il n’y a pas d’école pour devenir critique, la meilleure façon de le devenir c'est d’écrire encore et encore et, au fil du temps, une aisance naîtra. Même si c’est seulement quelques lignes c’est déjà un pas vers le progrès. Même si ce n’est pas pour une revue, il faut continuer d’écrire pour soi. C’est bien d’avoir des idées, mais il est essentiel de les poser sur le papier pour les transmettre. Quand on aime un film, on a envie que tout le monde l’aime : il faut essayer de le transmettre par écrit.