The Haunting
  • Tess Ardisson, Maïva Baillargé, Mélinda Dillinger, Bastien Jorge (L2)

Le temps des traumatismes

The Haunting of Hill House et The Haunting of Bly Manor (Netflix, 2018 et 2020)

« Le temps n’est que l’espace entre nos souvenirs. » Ce sont les mots de Henri-Frédéric Amiel, écrivain et philosophe suisse, dans son journal intime publié en 1884. Ceci est intéressant dans la mesure où, en psychanalyse, on conçoit le traumatisme comme un souvenir, comme quelque chose qui, bien que le temps passe, demeure et agit consciemment et/ou inconsciemment sur nous, à la manière de fantômes venant nous hanter. La mémoire étant au centre de notre existence, même si ce souvenir ne s’impose plus face à nous, il jouera le rôle de guide (malveillant ou non) à travers nos décisions, nos désirs et nos buts. Ainsi, si le souvenir forge et fait de nous ce que nous sommes, c’est bien cette conception freudienne que nous allons retrouver dans la série d’anthologie de Mike Flanagan : The Haunting, réalisée entre 2018 et 2021. Ce dernier se spécialise dans le cinéma d’horreur et nous offre ici l’adaptation de romans sur les fantômes. Un thème qui relie les deux saisons à travers la question de l’enfance et du deuil mais aussi des traumatismes prenant une forme paranormale. Nous nous demanderons comment The Haunting traite les thématiques du temps et des traumatismes.

I. Des personnages maudits

Résumé rapide des deux saisons : en 1992, Hugh et Olivia Crain s’installent temporairement dans un ancien manoir afin de le rénover avec leurs cinq enfants, Steven, Shirley, Theodora, Luke et Nell. Mais plus le temps avance, plus d’étranges événements vont avoir lieu dans le manoir, jusqu’à ce qu’un soir Hugh et les enfants quittent la maison précipitamment sans leur mère. En 2018, nous retrouvons les enfants et leur père et apprenons que la mère est morte cette nuit-là, mais Hugh s’est toujours tu à propos des raisons de ce mystère. Seulement, cette petite famille traumatisée et brisée se retrouve enfin après une nouvelle tragédie : la mort de Nell, les forçant à affronter leurs démons intérieurs et l’emprise que Hill House a toujours sur eux.

Dans la saison 2, Dani Clayton, une jeune institutrice au passé trouble, est engagée pour veiller sur Flora et Miles, deux orphelins vivant dans un manoir isolé. Celui-ci regroupe Hannah, la gouvernante, Owen le cuisinier et Jamie la jardinière. Ce petit microcosme s’occupe du bien-être des enfants tandis que leur oncle et tuteur légal, Henry Wingrave, les évite. Seulement peu à peu, le manoir semblant si accueillant et tranquille pour Dani, se révèle être un antre où des âmes en détresse reposent et où de multiples drames ont lieu, tels que la mort de l’ancienne nourrice Rebecca et la disparition mystérieuse de Peter, son petit ami et l'associé d’Henry.

A) Mécanismes d’identification et d’immersion freudiens

Maintenant que le résumé est fait, étudions la construction de la série. The Haunting est une série d’anthologie d’horreur traitant des thématiques psychologiques vues précédemment. C'est une série character driven : les personnages sont le moteur du récit. La saison inaugurale, par exemple, se construit en miroir via la formule : 1 personnage = 1 épisode dédié à la psychologie de chaque enfant de la famille et son fonctionnement, avant d’assister à la moitié de la saison au rassemblement de ce microcosme autour d’un événement et leur fonctionnement groupé pour résoudre un problème (le nœud) qui conduira au climax et à la résolution. Ce processus vient ainsi créer une profonde identification et empathie pour les personnages puisqu’on va littéralement rentrer au cœur de leurs pensées et souvenirs à l’aide de flashbacks et flashforwards introspectifs. Le tout étant organisé autour d’un système de questions-réponses via ce procédé concernant leur comportement individuel et la scission de la famille. Conception très freudienne donc, puisqu’on cherche les réponses dans nos traumatismes d’enfance pour justifier des comportements, actes et désirs présents.

Un souvenir est un morceau de réponse, comme des pièces de puzzle qui, ensemble, constituent la trame de l’histoire.

Cette structure vient alors caractériser les personnages, montrant leur profond enracinement à un passé traumatique ne cessant de revenir toquer aux portes de leur esprit, symbolisé par les raccords par analogies incessants qui nous font revenir à Hill House par mémoire sensorielle et objets à charge freudienne. Tout en permettant le déploiement du récit, de ses thématiques et ses enjeux sous une forme non linéaire bien construite et efficace faisant avancer l’intrigue petit à petit et nous en révélant de plus en plus sur ce qu’il s’est passé pour la famille. Ainsi, un souvenir est un morceau de réponse, comme des pièces de puzzle qui, ensemble, constituent la trame de l’histoire. De plus, chaque personnage via leur arc narratif symbolise dans l’ordre chronologique chaque étape du deuil et ses mécanismes de défense : Steven, l’ainé, symbolisant le déni ; Shirley, symbolisant la colère ; Théo symbolisant le marchandage ; puis les jumeaux dans leur ordre de naissance : Luke symbolisant la tristesse, addict se plongeant dans la drogue enfin Nell, symbolisant l’acceptation en incarnant celle qui rassemblera la famille par son destin funeste. La saison semble ainsi pensée, articulée comme un ensemble de rouage l’amenant d’un point A à un point B.

Penchons-nous maintenant sur les variations introduites dans la saison 2. Celle-ci se construit moins comme un ensemble se répondant en question réponse, mais plus comme une mise en abîme de la thématique principale de la saison : la mémoire et son oubli, tandis que l’on met en avant l’analyse, moins de l’individu, que des dynamiques de groupes. Nous retrouvons ici une structure d’épisodes en dualité : pour le premier, donc l’exposition, nous ne démarrons pas avec l’analyse d’un personnage individuel car c’est un personnage extérieur à la famille qui arrive dans le manoir et qui, comme nous, découvre les lieux et les nouvelles mécaniques de la série. On relève ensuite la construction suivante : un épisode représente deux personnages ou deux figures duelles et leurs relations. L’épisode deux met en scène miles et sa relation avec flora ainsi que leur manière différente de gérer le deuil. Le 3 met en scène le couple Rebecca et Peter et leur amour toxique. Le 4, lui, met en scène Dani et sa relation avec son ex fiancé, nous en apprenons un peu plus sur sa back story. Le 5 met en scène la relation entre Hannah et Owen mais plus largement sa connexion avec le microcosme. Le 6eme met en scène Henry et son double, symbole maléfique de sa culpabilité. Le 7ème met en scène Rebecca et Peter et leur relation à Flora et Miles puis le 8ème Viola en relation avec sa sœur Perdita, fantômes originels de la maison, expliquant la malédiction de Bly causée par un triangle amoureux. Enfin, l'épisode finale est celui qui ramène tous nos personnages ensemble, prêts à affronter leurs traumas à la manière de la saison 1, constituant le climax et la résolution. La saison 2 interroge ainsi, non plus seulement les dynamiques familiales et les traumas intergénérationnels, mais également les dynamiques sociales et la création d’une nouvelle famille avant la réunification de celle de sang. Interrogeant l’éducation, la pédagogie et le développement des enfants subissant le deuil et non plus les adultes cette fois : en mettant en scène leurs mécanismes de défense tels que les TOC, la reproduction de modèle, la dissociation et le refuge dans le rêve. Tandis que la saison se construit sur une mise en abime de la mémoire avec ses imperfections et sa dégénérescence, en abordant également l’angoisse existentielle d'être oublié en disparaissant avec le temps.

B) Réexploration de la tragédie grecque

Le drame familial se plaçant donc au cœur de la série, nous allons l’interroger en lien avec des mythes anciens. The Haunting s’inscrit dans une tradition bien connue des mythes horrifiques et tragiques : celui de la famille maudite. Les liens de sang dans la saison 1 rappelle, notamment par la vasectomie de Steven, une volonté de briser une malédiction, une tare qui se transmet dans la famille Crain sous forme de maladies mentales. La génétique joue un rôle important et renvoie à des mythes plus anciens comme la famille des Rougon Macquart, qu’on retrouve dans l’œuvre d’Émile Zola. Face aux traumatismes vécus, chaque membre de la famille s’oriente petit à petit vers un destin funeste, de la même manière que The Haunting dans son récit tragique dédie aux personnages maudits un épisode chacun ou en duo. Ces classiques de la littérature racontent la descente en enfer d’un membre de la famille, la mère dans l’assommoir par exemple qui se noie dans l’alcool. Ce coping mecanism n’est pas sans rappeler la consommation de drogues par Luke dans la saison 1, et l’alcoolisme de Henry dans la saison 2, une échappatoire aux fantômes qui les hante.

On peut distinguer très clairement dans la genèse de la série une réécriture de mythes antiques. En effet, The Haunting ne cesse de faire référence aux codes des tragédies grecques. Le premier générique met en scène des statues gréco-romaines en plâtres, qui se fissurent et s’éclatent à la manière de la psyché des personnages. Nous retrouvons d’ailleurs ses mêmes statues dans la saison 2, cette fois non fissurées mais couvertes de lierres, variation rappelant la thématique de cette nouvelle saison portant, entre autres, sur l’angoisse existentielle du temps qui passe, recouvrant notre existence passée. Pour incorporer le pathos et la fatalité inhérente à ces histoires, la série joue dans un premier temps sur la prestation d’acteur histrionique avec des poses conventionnelles que de longs monologues viennent sublimer via l’utilisation d’un travelling avant, faisant passer les personnages de plans rapprochés à gros plans. Ce procédé vient ainsi créer une empathie pour le personnage et les profonds états d’âmes qu’il traverse, la caméra nous invitant à nous projeter en lui.

On note aussi la reprise d’expressions du visage très caricaturales, une iconographie relative aux masques utilisés dans le théâtre antique. Ainsi, les acteurs sont comme des coquilles, et leur réutilisation dans les deux saisons montre bien cette idée d’incarnation actorielle. Toutefois cette idée est plus concrète dans la saison 2, avec la possession par les morts de Bly Manor du corps des deux enfants, jouant deux personnages bien distincts tous les deux. Plus directement, Poppy Hill, fantôme originel de Hill House, ayant réalisé l’acte infanticide, va pousser Olivia à tuer ses propres enfants : on ne peut que penser au mythe de Médée. Comme le théâtre classique l’entend, Flanagan va ainsi jouer des règles de bienséances dans l’épisode 6 de la saison 1, composés de longs plans séquences, qui n’est sans rappeler l’unité de lieu, de temps et d’action : ainsi, la dimension spatiotemporelle qui relie les deux époques entre elles est d’autant plus renforcée par la fluidité avec laquelle les flashbacks sont amenés. En effet, un personnage traverse un couloir et sans qu’on le remarque, il est à Hill House en 1992. Ici Flanagan explore les frontières de la mémoire traumatique, qui semble toujours avoir autant d’emprise sur les personnages adultes, elle démontre sa fragilité et son imprévisibilité. Les souvenirs peuvent refaire surface à tout moment. La caméra flotte autour des personnages à la manière des fantômes qui les hantes ou plus précisément la mère, veillant encore sur la famille, que Hugh voit tous les jours. Toutefois, ces mouvements de caméra aériens permettent aussi de nous plonger au cœur de cette réunion familiale, observant chacun de ces individus déjà développés dans les épisodes précédents interagir entre eux, retranscrivant leurs relations, leurs liens et la hiérarchie familiale établie entre eux. Après s’être intéressé à la gestion personnelle du deuil, cet épisode rassemble la famille et articule leurs logiques relationnelles : ils affrontent la mort de Nell ensemble et se confrontent à la réalité, ce rassemblement nous le retrouvons d’ailleurs via le plan séquence les gardant soudés dans une même épreuve sans jamais les séparer, les polariser. C’est seulement lorsque le cercueil tombe que le plan se casse, avant qu’ensemble ils ne le relève, symbole de la réunification nécessaire pour affronter un passé traumatique commun.

Enfin, si la saison 1 se construit plus comme une réponse d’une époque à l’autre, la saison 2 se délaisse de cette alternance pour opter pour une vision moins binaire du temps, les époques s’entrechoquent et le temps semble subjectif, ne renvoyant qu’à l’espace mentale des personnages. Nous retrouvons notamment cela avec le personnage d’Hannah se réveillant dans des endroits et moments différents. Une forme de dissociation qui sera expliquée plus tard par le fait qu’elle n’a pas encore réalisé qu’elle était morte, comme bloquée dans l’immense purgatoire que représente les maisons de la série, où seule la psyché régit les lois de la vie et de la mort, du paradis et de l’enfer, notre cerveau étant seul juge. Le montage de la série joue d’ailleurs une part importante dans la saison 2 puisqu’il mime ses coupures fortes d’états de présence à dissociation. En rejouant plusieurs fois des mêmes souvenirs, nous venons alors à comprendre que le temps est un rouage abimé, qui ne suit que ce que notre inconscient cherche à régler : une conception freudienne et sorte de névrose, thème abordé par le personnage d’Owen via la figure de sa mère malade. En cela, la psychanalyse porte un regard sur la fatalité : les personnages sont le résultat des traumatismes de leur enfance et détermine leur comportement une fois adulte. Le drame familial se place ainsi à l’essence même de notre identité, c’est donc le nœud à dénouer avec la réunification et l’introspection, nous permettant de sortir d’une boucle infernale et de la fatalité. Nous pouvons illustrer cela avec le personnage de Viola, la dame du lac, s’enfermant elle-même dans une boucle infinie, son propre purgatoire, où la résolution ne peut arriver tant par l’effacement des souvenirs par le temps, que par son impossibilité d’introspection. Celle-ci n’étant motivée que par la vengeance et la possession, contrairement à l’amour (familial, romantique et amical) qui sera libérateur pour les Crain, ou pour Danny et les enfants. Nous relevons également la tragédie que régit les histoires d’amour de la série, notamment celles de Dani et Jamie ou encore Hugh et Olivia, toutes deux séparées par la folie et la mort, mais aussi celle de Peter et Rebecca.

II. La redéfinition des frontières spatio-temporelles

Cependant, dans ces maisons maudites, les morts ne sont jamais vraiment morts et les vivants les côtoient au quotidien. Nous allons le démontrer en étudiant le brouillage et la redéfinition des frontières spatio-temporelles.

A) Les réponses incessantes entre passé et présent

La série The Haunting s'articule autour d’un lieu bien précis où toutes les frontières se brouillent, se mélangent ou s’annulent : la maison. Bly Manor et Hill House sont comme des portails spatio-temporels où les morts, les vivants, le passé et le présent se côtoient de manière familière. A la manière de Shining, les maisons ont une emprise sur les personnages dont elle va exacerber les traumatismes. Cet aspect de frontière qui qualifie les 2 lieux permet une dualité entre le présent et le passé qui se répondent constamment. Cela est permis par plusieurs choses : tout d’abord, les pièces des maisons ont une correspondance propre avec chaque personnage.

Cependant dans Hill House la chambre rouge est un espace adapté à chaque enfant qui n’a jamais été construit. Cette pièce peut d’ailleurs être mis en lien avec le « Terrible lieu » emprunté au slasher. En psychanalyse, le terrible lieu correspond au ventre de la mère qui ne doit jamais être repénétrée sous peine d’être puni. Cependant, cette pièce est constamment visitée et en même temps, sa porte est constamment fermée. C’est un lieu où le présent, le passé, et le futur n’ont plus de logique structurelle et linéaire. La chambre rouge est, comme le disent les personnages, un estomac qui digère depuis des siècles ses habitants. On peut d’ailleurs mettre cette chambre en parallèle avec le Lac de Bly Manor qui lui aussi les “digère”. Les maisons sont ainsi le lieu de rencontre entre le passé et le présent ainsi que des âmes qui les composent. Par leurs taille toutes deux conséquentes, celles-ci peuvent ainsi être perçues comme des labyrinthes où des âmes en détresse sont coincées malgré elles. Cependant, à la différence de Hill House, Bly Manor possède littéralement son minotaure qui est la dame du Lac.

Non seulement les murs bougent, mais les temporalités aussi.

D’autre part, ce qui caractérise la série, ce sont les « basculements » vers le passé ou les souvenirs. En effet, dans la saison 1 c’est davantage par le biais de flash-back que le lien passé/présent va se faire. Mais cela sera permis également par des raccords par analogie, ou par d’autres raccords sonores. Ce qui est commun aux deux saisons c’est le basculement par le toucher. Théodora dans la saison 1a des visions par le contact de ses mains sur des objets, peaux et autres sortes de matières renvoyant à un souvenir, à un passé. Dans la saison 2 ce principe est repris mais il est nettement plus poussé et élaboré. Pour commencer, tout le monde peut basculer dans ses souvenirs (et donc le passé). Pour cela il suffit d'être « absorbé » et donc touché par un fantôme le souhaitant. Quand un personnage bascule, nous basculons avec lui dans ses souvenirs ou dans ses rêves, en immersion et parfois déboussolés à la manière des personnages. Ceux-ci peuvent également basculer tout seuls, sans aide extérieure, mais dans ce cas il est systématiquement mort. Ce renversement se produit notamment grâce à un montage en « J Cut ». C'est-à-dire que le son de la prochaine séquence commence avant la fin de la précédente. Dans les 2 saisons nous retrouvons également un changement de lieu quand un des personnages traverse une “frontière” comme une porte ou un couloir, à la manière de la saison 1. Cela appuie la dimension labyrinthique des maisons. Non seulement les murs bougent, mais les temporalités aussi. Cela a pour but de perdre le spectateur tout en assemblant ces fameux morceaux du puzzle constituant l’intrigue. En nous perdant, nous saisissons mieux le récit, nous nous y abandonnons, plongeant nous même dans une introspection.

Le lien entre les morts et les vivants est donc très fort au sein de la série. Ils se côtoient, se parlent et fusionnent. Penchons-nous alors sur ces fantômes. L’esthétique des fantômes est inspirée de l’expressionnisme allemand qui joue beaucoup sur le jeu des ombres et de l’obscurité. Il s’inspire également des tableaux du peintre Francis Bacon. En plus de leurs aspects effrayants, fantomatiques et sombres, cela exprime également les différentes temporalités. Nous pouvons aussi lier les raccords par analogie aux liens qui sont créés entre les morts et les vivants. En effet, en liant deux époques qui communiquent ensemble, La notion du temps dans The Haunting est très spéciale : on y sent une fatalité ambiante. Le futur étant déjà déterminé par le passé avant quoi que ce soit ne se produise : ce que l’on voit se passera. Ceci s’exprime notamment au travers de la vision de la Dame au cou tordu vue par Nell dans la saison 1, puisque ce qu’elle voit en réalité c’est elle au bout d’une corde. Un suicide qui se produira dans le futur, inévitablement. La frontière se dressant entre les morts et les vivants, le passé et le présent est ainsi très fine, voire inexistante. De plus, nous pouvons parler de la faible profondeur de champ récurrente à toute la série qui permet non seulement de symboliser l‘inconscient et les traumas des personnages, mais aussi d’intégrer des fantômes dans le cadre de façon discrète et dissimulée. Car moins on se focalise sur l'image, plus le réalisateur peut nous troubler, nous surprendre.

B) Parallélisme et modernité

Enfin, nous avons vu que les maisons se placent véritablement comme lieu où les temporalités convergent, voyant notamment les naissances (Bly Manor) et les morts (les deux saisons) se succéder au fil du temps, ce qui nous amène à discuter du parallélisme mais aussi de la conception cyclique et postmoderne de la série. La série use donc de différentes temporalités et époques se mélangeant au sein même de la conception de la série, comme une mise en abîme des sphères spatio-temporelles qui s’entrecroisent. Comme si la série se plaçait au carrefour de différentes époques et genres cinématographiques. En ceci The Haunting se place en série post moderne par 3 aspects : Premièrement, Les effets de mise en abyme du temps cyclique et ses thématiques (mémoire, souvenir) sont nombreux. Tellement que la série comme organisme semble s'en souvenir. En effet, les saisons se répondent entre elles via les personnages. Flanagan vient ainsi déployer, étendre sa narration et la thématique du temps et ses traumatismes à l’échelle non plus de la saison mais de la série en elle-même avec une mise en abime de la conception non linéaire du temps mais psychologique.

La série semble ainsi représenter un univers où les règles du temps n’existent plus et où seule la psyché régit le monde dans une boucle sans fin se répondant sans cesse. Dans un second temps, nous pouvons relever que la série mélange différents intertextes en les revisitant. En effet, celle-ci reprend notamment les codes du film gothique via la thématique de la chambre interdite tout en incluant l’esthétique de différents films des années 60, le drame familial, psychologique mais aussi le thriller et le genre de l’horreur. Pour citer quelques exemples : The Haunting, lui-même adapté du roman de 63, et Les innocents de 61, deux grosses références revendiquées par Flanagan auxquelles il fait référence directement via des plans et des motifs récurrents mais aussi des cadrages particuliers.

Nous pouvons notamment citer la figure de Peter fantomatique dans une fenêtre mais aussi la manière dont l’acteur de miles et l’actrice de Théo ressemblent aux acteurs de ces films, le plan zénithale, les escaliers de Hill house ou les moments histrioniques que Flanagan mêlera à un jeu naturaliste. Mais ce n’est pas tout nous pouvons également relever des références une fois encore à la mythologie grecque comme dit précédemment avec la figure de Médée ou encore plus contemporainement à Shining. En effet cette référence s’exprime via la figure de Jack poursuivant sa femme et son fils en boitant dans le couloir de l’hôtel, tandis que c’est Olivia qui fera de même avec son mari et son fils Steven. Enfin, nous pouvons aborder le coté méta-discursif de The Haunting et son parallélisme. En effet, la série est totalement auto consciente notamment via ses très nombreux foreshadowing, mais nous pouvons également relever que celle-ci se met parfois par l'intermédiaire des personnages à parler d’elle même et de ses concepts. Mike Flanagan semble ainsi brouiller encore les frontières en prenant le contrôle d’un personnage, à la manière des fantômes de la saison 2, s’engageant dans un discours méta-discursif sur sa conception du temps. Nous prendrons alors un exemple plus que parlant qui est celui de Nell mettant en parallèle dans une métaphore le temps et les confettis. Non linéaire, se dispersant de manière intempestive, à la manière de la narration de la série.

« Tout traumatisme nous bouscule et nous déroute vers la tragédie. Mais la représentation de l’événement nous donne la possibilité d’en faire le pivot de notre histoire, une sorte d’étoile du berger qui nous indique la direction. » – Boris Cyrulnik

Ainsi, nous pouvons conclure que Mike Flanagan, via l’univers interconnecté de The Haunting, nous propose une œuvre postmoderne réadaptant plusieurs genres et récits passés, en actualisant la thématique du fantôme comme matérialisation de nos traumatismes et notre passé tout en créant une conception du temps propre à son univers, sur mesure. Nous aimerions alors ouvrir notre réflexion en parlant de l’ouvrage du psychiatre et psychanalyste Boris Cyrulnik, le murmure des fantômes paru en 2002. Celui-ci redéfinissant la figure du fantôme comme des enfants, sans figure d’attachements et d’amour n’ont pu développer assez de résilience pour affronter leurs traumas passés, devenant peu à peu l’ombre d’eux-mêmes. Conception que Mike Flanagan semble représenter via la figure de Peter, enfant traumatisé et abusé, devenant l’abuseur puis un fantôme.