The Outer Limits
  • Baptiste Lechesne (L2)

Monstrueusement vôtre

The Outer Limits (ABC, 1963-1965)

Moins citée que The Twilight Zone (CBS, 1959-1964) ou Alfred Hitchcock Presents (CBS/NBC, 1955-1965), The Outer Limits (Au-delà du réel en version française) n’en demeure pas moins intéressante, que ce soit par son abondance de monstres ou le grand nombre de réflexions qu’elle propose au spectateur. Ces deux aspects sont par ailleurs intrinsèquement liés, toutes les thèses étant introduites par le même élément : le monstre.

Alors qu’entendre par le mot monstre ? En prenant les définitions du Larousse, le monstre désigne à la fois une « personne qui suscite l'horreur par sa cruauté, sa perversité, par quelque vice énorme » et un « être vivant présentant une importante malformation ». Par cette dualité se distinguent en conséquence des caractéristiques morales et des caractéristiques physiques. S’il peut donc être doté de monstruosité morale, le monstre est en l’occurence dans la série soit amoral, c’est-à-dire qu’il n'a aucunement conscience du Bien et du Mal, aucune conscience de l'existence même de jugements moraux, par exemple dans la série pour les monstres qui viennent d’une autre planète ; soit immoral en ce qu’il a conscience de la morale et agit consciemment à son encontre, par exemple dans notre objet d’étude les montres créés par l’Homme à son image.

Le second aspect de notre définition évoquait de surcroît un être doté de monstruosité physique, qui se traduit dans The Outer Limits par des monstres à apparence inhumaine, ou bien humaine mais avec des capacités qui le rendent inhumain, comme se modeler le visage.


Le monstre est, en tout cas, extérieur à l’Homme et sa morale, ce qui permet ainsi de poser un regard analytique et objectif sur ces derniers. Nous allons par conséquent caractériser de « cinémonstre » ceux de la série, pour reprendre l’expression « ciné-œil » de Dziga Vertov, selon laquelle la caméra – l’œil donc – doit saisir objectivement le réel pour accéder à l’invisible. Le monstre occupe alors dans la série la même place que le cinématographe dans le réel. En d’autres termes, dans son texte « Ontologie de l’image photographique », André Bazin écrit la chose suivante : « seule l’impassivité de l’objectif, en dépouillant l’objet des habitudes et des préjugés de toute la crasse spirituelle dont l’enrobait ma perception, pouvait le rendre vierge à mon attention ». Alors Jean Epstein, dans son texte « Intelligence d’une machine », se sert de cette impassivité objective pour compléter la définition du cinématographe : « Voilà – nous dit donc déjà le cinématographe – exactement comme vous êtes pour quelqu’un qui ne vous aime, ni ne vous hait. Voilà à partir de quoi, vous-même, vos amis, vos ennemis, vous faites tant de fantômes divers de vous, réjouissants ou désolants. »

Son rôle d’appareil de prise de vue permet au monstre de poser un regard extérieur et objectif sur les êtres.

Ainsi, dans The Outer Limits, cette définition du cinématographe s’applique-t-elle de manière absolue au monstre, en ce que son rôle d’appareil de prise de vue permet de poser un regard extérieur et objectif sur les êtres. Par conséquent, son arrivée sur Terre ou sa manifestation dans la société va pousser les êtres humains dans leurs retranchements et ainsi dévoiler ce qu’ils ont de plus profond, de plus réel. Dès lors, le monstre permet au spectateur, par l’intermédiaire de l’Autre, d’analyser son comportement propre.

Précisons que cette utilisation du monstre comme truchement analytique n’est pas la première dans l’histoire audiovisuelle. En effet, en 1932, James Whale faisait de la créature de Frankenstein un miroir de l’être humain, la créature ne faisant que reproduire la violence ou la compassion que les villageois lui témoignaient. Dans la dimension uniquement psychologique du monstre, en 1947, Les Passagers de la nuit, par toute sa première partie tournée en vue subjective, mettait le spectateur dans la peau d’un homme accusé de meurtre, dans la peau de ce prétendu monstre, et voir de cette manière comment l’humain se comporte face à un meurtrier.

Frankenstein (James Whale, 1931)

Les Passagers de la nuit (Delmer Daves, 1947)


Dans The Outer Limits, s’il y a bien un monstre dans chaque épisode, celui-ci fait l’objet d’une variation récurrente : en fonction de son apparence, il propose une réflexion différente sur l’Homme. Il se dégage ainsi de la formule de la série trois types de monstres. Premièrement, celui-ci peut être complètement extérieur à la Terre, développant alors des thèses liées à l’Autre, à autrui, le « moi qui n’est pas moi » selon la définition de Sartre. Dans le deuxième cas, le monstre peut être créé par l’Homme et ainsi développer des thèses sur un ennemi intérieur infiltré dans le contexte de la guerre froide, en s’intéressant à la manière de créer un bouc émissaire pour y porter une haine commune et unifiante. Enfin, le monstre peut être l’Homme directement, au sens moral donc, par sa vénalité ou ses ambitions de pouvoir sans limites.

Finalement, quelle que soit la forme de ses monstres, The Outer Limits semble bien soutenir la thèse qu’il n’en existe de plus laid que l’Homme, celui-ci étant toujours la base immuable des complications sur lesquelles se construisent les différentes intrigues. Pourtant, près d’une soixantaine d’années après la diffusion de la série, il suffit de regarder les actualités pour se dire qu’elle n’avait peut-être pas tort.