Critique de film
  • Dimitri Ewald

Une nouvelle création de Mamoru Hosoda, beauté pour les sens mais se retrouvant contrastée par plusieurs points noirs

Belle (Mamoru Hosoda, 2021)

Inspiré directement de la langue française dans son titre avec une référence de conte, sort en fin d'année le film d'animation Belle, nouvelle création à gros budget de Mamoru Hosoda, ayant déjà prouvé son talent à plusieurs reprises, notamment dans Les Enfants loups, ou Mirai ma petite soeur. Mais cette fois, pas de fantastique, de traversée dans le temps ou de voyage onirique, car ce n'est pas le sujet de Belle, un film se voulant plus terre à terre. En effet, il se déroule dans notre monde et notre époque d'aujourd'hui, à la seule différence qu'il existe une immense réalité virtuelle, énormément fréquentée, appelée « U » (inspiration d'ailleurs assez flagrante avec « l'Oasis » du blockbuster Ready Player One de Steven Spielberg, 2018). Nous y suivons le quotidien de Suzu, une adolescente lycéenne qui peine à sociabiliser et à exprimer ses passions, décidant de s'évader à travers « U ». Beaucoup d'éléments divers dans un film sortant un peu des sentiers battus de l'animation japonaise, qui se veut comme une riche conclusion de 2021 mais présentant tout de même une richesse contrastée qui mérite un développement et une critique dans les prochains paragraphes sous la question : Quels sont les côtés agréables et les zones d'ombres du film et lequel des deux prendrait le dessus dans l'appréciation globale ?

Ce qui est clair, c'est que la première chose se démarquant avec ce film, et qui fait sa force d'appât car étant forcément sur le premier aperçu (en commençant par voir l'affiche par exemple), c'est le visuel de ce film et nous pouvons bien dire qu'il est très particulier. Effectivement, on retrouvera durant toute sa durée un jonglage entre la vraie vie et la réalité virtuelle de U, marqué par un clivage à la fois avec le style et la pâte. Dans la vie réelle de Suzu, on sera plutôt habitué à des couleurs ternes, monotones, un rythme lent, et un chara-design assez homogène dans la forme. Tandis que concernant la réalité virtuelle, nous obtenons un opposé net avec un magnifique océan de couleurs, un rythme rapide et fluide, et le chara-design quant à lui se trouvant être très éclectique, dans une sorte de 3D. Ce dernier étant le point faisant un léger bémol, le cheveu dans la soupe visuelle. Car bien que cohérent car dans un monde virtuel, casse peut-être un peu trop avec le style d'animation initial, et souffre un peu de grossièreté sur les modèles 3D quand on penche un peu l’œil. Le clivage voulu est assez évident à voir, d'un côté la vie maussade, lente, sans intérêt dans le monde réel. D'un autre, un festival de couleurs, de rythme et de diversité dans « U ». Quoi qu'il en soit, on retrouve bien cette esthétique toujours particulière et vivante de la part de Mamoru Hosoda, mais ce n'est pas la seule chose qui marque le clivage, car il y a un autre élément qui se trouve être en fait à la fois le symbole du film et un élément très important de l'intrigue.

S'il y a bien un emblème à ce film, c'est la musique.

Car s'il y a bien un emblème à ce film, ce n'est pas forcément le visuel dont nous venons de parler, mais la musique. Étant déjà un intérêt très important de l'intrigue, car le personnage de Suzu n'étant capable de chanter que dans U depuis son traumatisme (entre autres). Cela se couplant en parallèle avec un travail considérable qui a été fait sur cette bande-son musicale (la voix techniquement parfaite, l'instrumental propre, la consonance avec le déroulé visuel), nous pouvons être sûrs d'une chose. C'est parfaitement clair de la part du réalisateur que le musical de ce film a été créé de manière à être sa pièce forte, et cela a fonctionné. N'importe quelle personne qui pensera à Belle, se souviendra forcément de sa bande-son marquante, et il est bien plus facile de chantonner un air pour marquer les esprits que de dessiner un thème visuel.

Nous avons donc un plaisir pour les yeux malgré le bémol, une bande-son nette et marquante, mais qu'en est-il de l'histoire ? Du déroulé scénaristique ? C'est malheureusement peut-être le gros hic de ce film d'animation.

Nous partions pourtant bel et bien vers de bonnes idées, car l'histoire de Suzu avait des choses à dire. Avec le thème de la solitude, le traumatisme familial et comment rebondir dans sa vie, notre personnage principal aurait pu être un modèle de renouveau, avec un bonus de réflexion sur l'ampleur de la célébrité de nos jours. Sauf que c'est quand on commence à rentrer dans une nouvelle intrigue parallèle (qui devient rapidement le centre du film) que les choses se gâtent, le fameux hic pointe le bout de son nez. Cela commence avec la rencontre de Belle avec le « Dragon », pendant un de ses concerts, poursuivi par la « Police » autoproclamée de U et la figure principale se retrouvant mêlée malgré elle à la poursuite. S'ensuit une recherche curieuse de la part de Belle sur ce nouvel énergumène, puis une histoire d'amour à rebondissements dramatiques qui se veut une sorte de clone du conte adapté par Disney dont nous n'avons pas besoin de prononcer le nom. Après cela, c'est la question de l'identité de la bête Dragon qui prend le dessus, ce que Belle va finalement réussir à découvrir en trouvant le gamin de 14 ans et son petit frère, famille seule dans une grande ville, maltraitée par le père. Il n'y avait déjà plus grand-chose de frappant après la rencontre de la pseudo-bête, malgré la chanson (un peu trop) grandiose et libératrice de notre personnage principal pour regagner la confiance des enfants. Il est malheureusement aisé, à partir de ce point, d'avoir comme une sensation d'avancer progressivement vers quelque chose n'ayant ni queue ni tête, mais si seulement nous n'avions que cela, si seulement le film ne nous gratifiait pas d'un tel festival événementiel pour le moins ahurissant.

Entre la jeune adolescente de 15/16 ans qui part dans une aventure surréaliste pour sauver des enfants qu'elle ne connaît pas d'un père violent, tout cela sous les yeux de la famille de Suzu, qui semble parfaitement soutenir de voir partir une mineure à l'autre bout du pays pour une histoire qui nécessiterait une intervention policière. Mais aussi, et surtout, la cerise sur le gâteau, le bouquet final qui pour beaucoup ferait décrocher de l'intrigue, c'est bien l'échange d'yeux ultime de l'adolescente et du père des enfants battus, après la scène de violence dont elle a été victime. Se voulant comme la séquence finale forte du film, on assiste à un regard assez revolver puisque qu'il aurait suffit à tétaniser le père et le faire fuir de terreur, vraisemblablement écrasé sous la puissance des deux pupilles de la lycéenne. On peut se demander ce qu'a voulu nous transmettre le réalisateur avec ce passage incongru : une force d'esprit nouvelle ? Le père prend peur car c'est la première fois qu'un enfant lui résiste ? La souffrance qu'il lit dans les yeux de Suzu ? Ou alors une manifeste « force de l'amitié », cliché de niaiserie dont on aurait pu espérer qu'il soit resté dans des dessins animés destinés au moins de 12 ans. Bref, dans tout les cas, une fin de film au mieux invraisemblable, au pire ridicule, tant on peine à comprendre quels peuvent être les messages pertinents à travers les enfants battus sauvés, ou Suzu qui a l'air de s'être finalement « retrouvée » elle-même avec cette histoire. Tout un pan que la direction artistique, malgré sa qualité, peine à rattraper.

Finalement, seraient-ce le visuel fort de propreté et la bande-son pas loin de l'irréprochable qui rattraperaient ce scénario aux idées bonnes mais si mal exploité en deuxième moitié ? Cela dépend en réalité du jugement de chacun, certains pourraient finir toujours émerveillés par la beauté esthétique que veut laisser transparaître le film, avec une histoire certes à l'eau de rose mais qui jouit d'une fin heureuse et lumineuse. D'autres peuvent se trouver complètement détachés d'intérêt de l’œuvre à partir du moment où l'on perd du sens et de la cohérence dans la trame scénaristique, que la qualité auditive et visuelle ne sauraient rattraper.