Critique de film
  • Alyssa Leroy

Un big bug dans la tête de Jeunet

Big Bug (Jean-Pierre Jeunet, 2022)

Après dix ans d’absence, Jean-Pierre Jeunet fait son grand retour… sur Netflix ! Un come-back attendu mais décevant pour les fans de ce grand nom du cinéma. À travers une comédie futuriste et satirique maladroite, le cinéaste nous donne à voir une effrayante image d’une humanité en perdition, bientôt contrôlée par des intelligences artificielles.

Aujourd’hui, dans un monde enclin aux évolutions technologiques constantes conçues pour répondre à toutes sortes de nos besoins (aussi futiles soient-ils), nous sommes souvent amenés à nous poser la question suivante : les robots prendront-ils un jour le dessus sur les humains ? Jean-Pierre Jeunet tente de nous donner sa vision des choses avec Big Bug, un long métrage d’anticipation satirique en huis clos que seul le géant du streaming Netflix a accepté de produire au montant souhaité par Jeunet (très probablement pour avoir un grand nom du cinéma à ajouter à son catalogue). En effet, pendant quatre ans, le réalisateur a dû essuyer les refus des producteurs français car, selon leurs dires (rapportés par Jean-Pierre Jeunet dans la revue Ecranlarge) : « des robots dans une comédie française, ça ne rentre pas dans une case ». Le film, dont l’histoire se déroule en 2045, narre les aventures d’une famille déjantée qui se retrouve confinée contre son gré par des robots appelés Yonix. Ces derniers ont pour objectif de dominer le monde en éliminant ou en ridiculisant les humains. On peut dès lors se demander comment Jean-Pierre Jeunet dépeint un monde superficiel dans lequel la machine apparaît plus humaine que l’humain lui-même ?

La machine ou l’humain de demain

Bien que les situations présentées par le film soient vues et revues, elles relèvent tout de même un problème clef de notre génération : l’omniprésence des robots dans notre vie. Jean-Pierre Jeunet nous propose sa propre vision du futur et de ces androïdes en les rendant plus humains que les humains eux-mêmes. Premièrement, les designs des robots et les effets spéciaux sont incroyablement bien réalisés, si bien que Monique, l’androïde à l’apparence humaine, en devient réellement effrayante. Outre l’apparence, on s’y attache rapidement car leurs efforts pour se fondre parmi les humains sont touchants (ils tentent d’éprouver de réelles émotions et de reproduire les comportements humains). De plus, ils font tout pour garantir le bien-être de ces derniers et ne reçoivent que très peu de reconnaissance en retour.

Les humains semblent tous enfermés dans un rôle, avec des limites bien définies et infranchissables.

A contrario, les humains sont assistés dans toutes les taches de la vie quotidienne et passent leur temps à se plaindre et à faire « semblant ». Leurs émotions et leurs échanges les uns avec les autres sonnent faux. Ils parlent souvent pour ne rien dire et tentent des blagues teintées d’humour noir qui laissent le spectateur de marbre. Le fait que ces derniers soient stéréotypés à outrance n’aide pas… leur construction et leur évolution manquent de consistance. Ils semblent tous enfermés dans un rôle, avec des limites bien définies et infranchissables : il y a la jeune fille égocentrique et superficielle, la mère de famille sexy, l’amant marseillais un peu débile, les ados rebelles et romantiques, la sexagénaire un peu paumée, etc. De plus, tels des animaux, ils semblent tous être contrôlés par leurs hormones qui les poussent constamment à s’envoyer en l’air (comme si tous leurs problèmes pouvaient se résoudre par le sexe), ce qui les rend agaçants au possible. À force, le surjeu constant et le trop-plein d’hystérie épuisent. On souhaite clairement la mort de chacun des habitants de cette maison, exceptés les robots qui suscitent pour la plupart de l’empathie et un réel intérêt pour leur quête d’humanité. Finalement, les humains sont réellement dépendants des robots, ils ne servent à rien si ce n’est à faire rire la galerie en se ridiculisant. Ils ne semblent en réalité pas avoir de réel but dans la vie.

Un monde superficiel

Le monde de Jean-Pierre Jeunet est coloré, c’est un fait. Dans Big Bug, le réalisateur fait le choix d’un huis clos au sein d’une maison futuriste habillée de teintes flashy. Les couleurs primaires dominent, attirent l’œil et donnent envie de visiter la maison de fond en comble, d’autant plus que chaque pièce a sa petite particularité. Il y ajoute par exemple les tendances actuelles en termes de décoration en incluant des objets et des meubles vintage et pop (datant des années 1950 et 1960, et qui redeviennent très « à la mode » aujourd’hui). Cependant, le surplus de couleurs et de bibelots majoritairement peu utiles (mais très beaux visuellement parlant), vient renforcer la société du paraître que met en scène le réalisateur. Tout n’est qu’apparence. Le monde, à l’instar des humains, semble être une immense coquille vide.

L’extrême artificialité de l’univers dans lequel nous sommes plongés nous donne à voir un monde auquel on ne croit pas.

En outre, le quartier dans lequel toutes les maisons sont identiques et monotones n’est pas sans rappeler le lotissement du film Vivarium (2019) de Lorcan Finnegan qui dépeint un climat anxiogène et renvoie à une certaine forme d’enfermement, de prison pour les personnages qui y habitent comme pour le spectateur. Les publicités ambulantes qui défilent dans les rues de ce quartier de l’enfer tout au long de la journée, contribuent à renforcer le caractère superficiel et anxiogène du monde de Big Bug. Systématiquement, lorsqu’un personnage évoque un besoin ou une envie, la « machine à pub » apparaît devant la maison pour proposer LE produit de rêve qui le rendra plus heureux. Malheureusement, l’extrême artificialité de l’univers dans lequel nous sommes plongés nous donne à voir un monde auquel on ne croit pas du fait de sa trop grande marge avec la réalité.

Finalement, à travers des décors futuristes et colorés qui nous en mettent plein la vue, des personnages surexcités et ridicules, et des robots attachants en quête d’humanité, Jean-Pierre Jeunet dépeint l’image d’une société déshumanisée où tout n’est que superficialité et illusion. Bien que maladroit, Big Bug est un film qui nous pousse à remettre en question notre propre humanité et à interroger notre futur.