Critique de film
  • Shahrazade Laayouni

Un chemin vers le mal

Drive (Nicolas Winding Refn, 2011)

Après Bronson et Le Guerrier silencieux, le réalisateur danois Nicolas Winding Refn est de retour avec son tout nouveau polar, Drive, qu’il réalise en 2011. Le film est fortement apprécié pour son esthétique, ses plans reluisants, son histoire, sa bande originale, mais aussi sa distribution qui compte Ryan Gosling, Carey Mulligan, Oscar Isaac, Bryan Cranston ou encore Ron Perlman. Cela a valu à Refn le prix de la mise en scène au festival de Cannes, et de nombreuses autres nominations.

Refn nous emmène dans cette histoire entre amour et violence. Un Ryan Gosling stoïque, froid et plongé dans la solitude ne décrochant très peu de phrases durant tout le film. Si l’on peu relever une chose beaucoup plus intrigante dans son personnage, c'est qu’il n’a aucun nom, aucun dévoilement ne se fait de sa part et ni de la part du réalisateur. Tout ce que l’on sait c’est qu’il est mécanicien et cascadeur de cinéma le jour, chauffeur pour des braqueurs la nuit.

Son personnage va nous attirer et nous intriguer. Sa personnalité est en totale harmonie avec les couleurs et les images du film, il est dans son élément malgré lui. L’histoire se déroule à Los Angeles, le « driver » emménage dans un immeuble et fait la connaissance de sa voisine Irene (Carey Mulligan), femme discrète qui a un fils, Benicio, âgé d’une dizaine d’années. Les deux voisins de palier se rapprochent timidement pendant que le mari d’Irene, Standard (joué par Oscar Isaac), est en prison.

On peut effectivement prétendre que le personnage incarné par Gosling souffre intérieurement sans avoir de quelconques informations sur sa vie personnelle. Quand il conduit, il combat les autres et lui-même. Il a une part de violence qui va se développer en acceptant d’aider Standard, tout juste sorti de prison. Il va en effet l’aider à braquer un prêteur sur gage afin de payer ses dettes accumulées en prison. Cette violence explose à partir de ce moment-là dans les rues de Los Angeles. Gosling sort de sa voiture et se bat autrement qu’avec un volant. Il se retrouve dans une spirale infernale, entouré de mafieux.

Nous avons cette impression dès le début du film que le chauffeur se contente de son quotidien et cherche à être loin des problèmes. Sauf que plus le film avance, plus nous le voyons submergé par l’animosité qui commence à l’encercler et le consumer. Nous caractérisons sa personnalité comme problématique pour lui-même car il se retrouve dans cette situation par amour pour sa voisine. Se pose alors la question suivante : l’amour qu’il porte envers Irene l’a-t-il rendu violent ? Prêt à tout pour protéger ce qu’il aime, le conducteur va jusqu’au bout de ses actes. Sa preuve d’amour envers Irene est d’aider Standard afin de la protéger, elle et son fils. Mais l’aide qu’il va fournir regorge d’une agressivité physique et mentale à laquelle il ne s’attendait pas. Cette impétuosité se décuple tout au long de l’œuvre. Conduire ne suffit plus pour affronter la tempête qui les envahit, lui, Irene et son fils. Refn excelle dans sa mise en scène, il arrive a représenter les humeurs du chauffeur par les jeux de couleurs.

Nous pouvons également faire le parallèle avec son film Only God Forgives réalisé en 2013 (toujours avec Ryan Gosling) où, encore une fois, la colère est à son comble. Refn nous démontre que le visuel, la photographie, l’esthétique, ainsi que les couleurs sont des choses importantes dans sa pratique, et c’est ce qu’on apprécie le plus dans son cinéma, si agréable à l’œil.

Outre la violence du récit et des images, reste une histoire d’amour assez timide entre Irene et le chauffeur.

Mais outre la violence du récit et des images, reste une histoire d’amour assez timide entre Irene et le chauffeur. En effet, les voisins se tournent autour ; le personnage de Gosling semble apprécier Benicio et vice-versa, l’enfant semble lui apporter une certaine tendresse. De plus, étrangement et sans pouvoir l’expliquer, le patron du chauffeur appelle toujours ce dernier « kid » (ce qui pourrait se traduire par « petit »), alors qu’il n’a absolument rien d’un enfant.

Une autre référence porte sur le personnage Travis Bickle, joué par Robert de Niro dans le film Taxi Driver de Martin Scorsese. Les deux protagonistes se rejoignent dans le pénombre de la solitude. Travis est une personne qui vit en marge de la société, et qui partage les mêmes sentiments et émotions que Gosling dans Drive en ce qu'il se voit voué à déployer une violence inouïe afin de protéger une jeune prostituée de seulement 13 ans à la fin du film. De ce fait, l’environnement des deux personnages est totalement le même : la voiture garantit une sorte de sécurité pour leur santé mentale. Conduire est un moyen de décompresser pour certaines personnes.

Mais revenons à Drive et à sa magnifique séquence d’ouverture, où nous voyons le chauffeur en plein course-poursuite avec la police. Cela nous indique qu’il domine quand il conduit, qu'il arrive à gérer en toute simplicité la situation avec un sang-froid sensationnel. L’élément qui va le faire éjecter de sa zone de confort est bien l’amour qu’il porte à Irene. Nous pouvons aussi mentionner la célèbre séquence dans l'ascenseur (causée par l’animosité des criminels à leur poursuite), où il embrasse longuement Irene. Avec ce polar, Refn réussit à nous offrir un personnage complexe en totale coordination avec des plans d'une grande subtilité.

Nous ne pouvons parler de Drive sans relever la remarquable bande originale composée par Cliff Martinez dans un genre « synthwave ». Les musiques extradiégtiques (ou non) apparaissent en opposition avec la situation déchaînée à laquelle est confronté le « driver ». Le film rend en outre bien incertaine l'expression « City of Angels » qui sert couramment à désigner la ville de Los Angeles. Celle-ci est magnifiquement représentée à travers des plans éblouissants et symétriques que l’on voit tout le long du film. La manière dont Refn filme Los Angeles est une expression d’amour envers la ville, si joliment représentée de jour comme de nuit, de manière à calmer doucement les esprits. La lumière plane sur Los Angeles pour des habitants sombres et avides de vengeance.

Ce film détient une intensité qui lui est propre.

En fin de compte, il y a une beauté dans la violence exposée dans l’œuvre qui symbolise en quelque sorte l’histoire d’amour entre le chauffeur et Irene. Cette beauté est éperdument en symbiose avec l’esthétique proposée par Refn. Ce film détient une intensité qui lui est propre, ce qui en fait bien plus qu'un film d’action hollywoodien. Alors oui, malheureusement, ses sentiments envers Irene ont mené le « driver » au pire. Car, malgré son tempérament glacial, son cœur se réchauffe à la simple idée de pouvoir protéger ceux qu’il aime.