Critique de film
  • Marceau Morice

Du sable aux yeux

Dune (Denis Villeneuve, 2021)

Denis Villeneuve a accidentellement réalisé un plagiat de Star Wars. Après la tentative d’Alejandro Jodorowsky en 1975 et bien d’autres par la suite, Dune (2021) n’a-t-il pas été produit trop tardivement ?

Bien que l’on cherche sans cesse à réinventer les schémas scénaristiques, de grands modèles persistent, et certains éléments passent encore, involontairement ou non, entre les mailles du filet. On citera Joseph Campbell et son essai Le Héros aux mille et un visages [1], qui théorisera le monomythe – aussi appelé le voyage du héros –, inspirant bon nombre d’auteurs littéraires et cinématographiques. Il en ressort un schéma narratif de douze étapes d’un périple initiatique : de l’appel à l’aventure du protagoniste à son évolution, en passant par les indémodables obstacles et l’Épreuve suprême. Consacré uniquement au cinéma, le livre Save The Cat! [2] de Blake Snyder expose, quant à lui, quinze temps forts dans l’écriture d’un scénario, à la page et à la minute près : de l’établissement de la thématique à l’image finale, en passant par la séquence « Humour & Jeux » qui viendra nourrir les bandes-annonces. Ce guide scénaristique, bien qu’aux allures trop réglementaires, se devine sans problème durant le visionnage de bon nombre de longs-métrages. Les genres littéraires et cinématographiques sont eux aussi des modèles de narration remplis de règles et de codes, instaurés par des œuvres influentes. Dune (1965) de Frank Herbert est à la science-fiction ce que Le Seigneur des Anneaux (1954) de J. R. R. Tolkien est à la fantasy, ou ce que Friends (1994-2004) est à la sitcom américaine : un modèle.

Quel serait le résultat d’une adaptation en 2021 du Seigneur des Anneaux ?

Imaginez un monde uchronique où les trilogies de Peter Jackson n'existeraient pas, et où une œuvre cinématographique inspirée de l’œuvre de J. R. R. Tolkien (sans en reprendre le nom) serait acclamée. Quel serait le résultat d’une adaptation en 2021 du Seigneur des Anneaux ? On serait face à une œuvre qui nous servirait une soupe que l’on connaît déjà par cœur. C’est réconfortant, c’est source de souvenirs, mais c’est la même chose. Dune réalisé par Denis Villeneuve en 2021, adapté de l’œuvre éponyme de Frank Herbert, nous rappelle malheureusement cette soupe. Sans vouloir crier l’adage selon lequel « les livres sont mieux que les films », ce dernier est rempli d’éléments narratifs et de protagonistes classiques – voire clichés – du cinéma, et principalement des films de science-fiction et d’aventure. Cela va de l’apprentissage d’un jeune Élu devant intégrer une société bataillant entre ses espoirs et ses doutes, à l’ami costaud du héros dont on assistera au sacrifice et, de manière prévisible, à la renaissance des cendres, pour un ultime combat.

On n’oublie pas – sans vouloir faire de liste – le traître, l’État impérialiste, son empereur et ses sbires, le mentor et l’obligation de s’en séparer pour poursuivre la quête. On peut aussi citer des scènes déjà bien exploitées par le cinéma, comme la tension provoquée par un véhicule qui ne souhaite pas démarrer alors que les personnages redoutent l’arrivée de l’ennemi. Dune est indéniablement une influence majeure de l’univers de Star Wars (1977), pour ne citer qu’un exemple de monument de science-fiction. Le livre de Frank Herbert est un chef-d’œuvre ultime du genre, qui l’a même réinventé. Un modèle de space-opera dont les codes sont ancrés dans la culture populaire. Cependant, pour le grand public, ce n’est pas mentir que de stipuler que Star Wars est bien plus culte au cinéma que Dune. Alors quand Denis Villeneuve nous offre son long-métrage, on a simplement l’impression d’assister à une pâle copie de l’œuvre de George Lucas, tant les ressemblances sont frappantes. Ce sont, bien sûr, les similitudes sur des éléments narratifs tombés en désuétude qui dérangent.

Dune est un grand spectacle qui ne mène à pas grand-chose, au final.

Mea culpa. Je n’ai point lu ce monument littéraire signé Herbert. J’espère cependant que Denis Villeneuve a écrit une adaptation 100 % fidèle sans essayer de moderniser le récit. Sinon, cela voudrait dire que le résultat diffusé en salles trahit sa supercherie de bon adaptateur. On peut se poser la question sur sa conscience de l’évolution du cinéma. La beauté de l’image et de la lumière ne peut être niée, mais une jolie image sans une bonne histoire, c’est comme un joli scénario avec une mauvaise réalisation : ça ne fait pas un bon film. Dune est un grand spectacle qui ne mène à pas grand-chose, au final. Un film qui nous jette du sable aux yeux, en voulant nous faire miroiter des étoiles.

Adapter Dune de nos jours n’est plus une bonne idée. Petit ange sorti trop tard. Cette œuvre littéraire a instauré des éléments narratifs et un univers repris dans bien d’autres par la suite, imposant à cette adaptation cinématographique des allures parfois ringardes tant ce qu’elle offre est vu, revu, et déjà parodié avant elle. En se remettant dans le contexte des deux époques, en 1956 le livre ne manquait pas d’originalité, mais en 2021 le film tombe dans le piège de la redite. Avec la reprise de schémas scénaristiques classiques, à peine sorti le film a déjà mal vieilli. À vouloir faire découvrir à une jeune génération l’œuvre littéraire qui a potentiellement inspiré leur saga favorite, on tombe dans le jeu enfantin du « c’était moi le premier ». Le film de Denis Villeneuve reste tout de même, comme toute adaptation, une porte ouverte sur l’œuvre de Frank Herbert, rempli de thématiques plus que jamais d’actualité.

[1] CAMPBELL Joseph, Le Héros aux mille et un visages, États-Unis : Pantheon Books, 1949.

[2] SNYDER Blake, Save The Cat!: The Last Book on Screenwriting You'll Ever Need, Angleterre : Michael Wiese Productions, 2005.