Critique de film
  • Olivier Simon

Montrer de nouvelles identités avec Elvira

Elvira: Mistress of the Dark (James Signorelli, 1988)

S’il y a bien un film des années 1980 dont on ne parle pas assez, c’est Elvira: Mistress of the Dark. Combinant humour, féminité, et une histoire qui fait écho aux personnes queer de l’époque, Elvira est une figure qui, encore en 2022, continue de se faire connaître par le public. Pourtant, en 1988, Elvira sort du lot plus par sa « vulgarité » que par sa nouveauté et son ouverture d’esprit. Comment montre-t-elle son inclusivité et le renouveau d’une féminité dans cet excellent film de la fin des années 1980 ?

Comment oublier Elvira une fois que l’on a vu ce personnage vêtu de noir, avec un maquillage bleu, blanc et fuchsia ainsi qu’une coiffure hors du commun ? Interprétée par Cassandra Peterson depuis 1981, Elvira est un personnage iconique d’Halloween qui a su se développer de la télévision jusqu’au cinéma. À l’époque la chaîne de télévision californienne KHJ-TV cherche une nouvelle figure pour présenter des films de série B des années 1950, comme le faisait le personnage Vampira dans le Vampira Show de 1954. Cassandra Peterson obtient le rôle de cette nouvelle présentatrice et le droit de pouvoir créer le style du personnage. Elle demande alors de l’aide à son meilleur ami, Robert Allen Redding, et ensemble ils créent le look d’Elvira qui s’inspire des drag queens de l’époque, et qui reste encore aujourd’hui iconique ! C’est donc en 1981 que le premier épisode du Elvira’s Movie Macabre est diffusé, et la série connait un succès important. Au fil des années, Peterson développe Elvira pour la rendre encore plus reconnaissable, en passant dans des talk-shows ou encore en étant active au sein de la communauté LGBT. Au milieu des années 1980, un projet de sitcom centrée sur Elvira est présenté à Peterson, mais elle décline l'offre et propose plutôt de jouer son personnage sur grand écran.

C’est sur ces prémisses que sort en 1988 le film Elvira: Mistress of the Dark, réalisé par James Signorelli. Ce film raconte l’histoire d’Elvira, jeune présentatrice de films de série B qui rêve de faire un spectacle à Las Vegas. Pour y parvenir, elle doit donner une somme d’argent qu’elle n’a pas. Par chance, une tante inconnue lui lègue des biens qui pourraient l’aider. Elvira se rend alors dans la ville de Fallwell qui ne l’accueille pas à bras ouverts, bien au contraire. Le personnage est amené à interagir avec la jeunesse ainsi qu’avec les habitants de la ville, dans un mélange loufoque et sarcastique. Le film mélange comédie et horreur dans le sillage des séries B des années 1950. Mais malgré ce ton léger, le film parvient à soulever de nouvelles questions très peu abordées auparavant. Comment le film montre-t-il un renouveau d’idées à travers sa protagoniste ?

Un film drôle, léger et ouvert à la jeunesse

Tout d’abord, on peut noter la capacité du film à avoir un humour et un scénario (même si simple) qui n’ont pas vieilli. Les personnages sont uniques en leur genre, à mi-chemin entre la série B et le cartoon. Cela va jusqu’aux noms de ces derniers, comme Chastity Pariah, qui est ironiquement un cliché de la femme conservatrice et religieuse, mais qui s’énerve comme les personnages de dessins animés Warner Bros. Et malgré tous les reproches que les personnages conservateurs peuvent faire à Elvira, le film n’emploie pas de jurons, même dans ses blagues. Cette remarque peut sembler anodine, mais la situation est tout de même paradoxale. Face à l’hypersexualisation de l’héroïne, on aurait pu s’attendre à la multiplication de mots vulgaires et de blagues beaufs. Mais au contraire, le film use de blagues bien pensées qui, même si elles font référence au sexe, ne sont en rien embarrassantes. Certaines sont même devenues mémorables, comme le moment où Elvira tombe d’une échelle et se fait rattraper par Bob (son coup de cœur dans le film), qui lui demande :

« How is your head? » « I haven’t had any complains yet! » – Bob et Elvira

Et même si le film aborde des sujets adultes, il s’adresse à un public plutôt jeune, entre l’adolescence et la vingtaine. Il est d’ailleurs important de noter que le film a été déconseillé aux moins de 13 ans aux États-Unis, lors de sa sortie en salle. On y trouve d'ailleurs beaucoup de références à la pop culture des années 1980 et 1990 : un comic book de Spiderman, une référence à Mickael Jackson, ou encore un cosplay rapide de Rambo fait par Elvira pendant le combat final du film. Bien que discrètes, ces références sont plus à même d’être reconnues par un public jeune. De plus, le film propose une rivalité entre les habitants plus vieux et plus jeunes de la ville, les premiers exerçant une oppression permanente sur les seconds. Face à ce conflit, Elvira incarne une figure progressiste qui aide les jeunes gens à passer de figures soumises aux règles à des individus indépendants, qui peuvent apprendre certaines choses à leurs parents. Ainsi, la femme « vulgaire » apprend aux jeunes adultes à aller voir des films, à s’aider les uns les autres, et surtout à se libérer sexuellement.

Un film qui innove dans ses représentations

Dans le cas du combat final, elle utilise des instruments « typiquement féminins » pour se défendre ; comme l’utilisation de ses talons hauts comme couteau à lancer, ou encore de ses seins pour pouvoir s’échapper facilement d’un cimetière cadenassé. Elvira incarne une libération sexuelle qui cri « mon corps, mes choix ». C’est une figure féminine qui a confiance en sa sexualité, elle possède des atouts qui lui donne du pouvoir dont elle connait les capacités face aux hommes, cela se voit directement dans sa relation avec Bob. Tous les hommes de la ville lui font des avances mais elle choisit Bob, on perd la vision patriarcale du couple hétérosexuel puisqu’ELLE mène cette relation, qui est revendiquée comme purement physique.

Comme on peut le comprendre, Elvira est une figure novatrice de la féminité par rapport à celles habituellement montrées dans les films des années 1980. D’une part, les dialogues qui lui sont confiés font ressortir une débrouillardise et une conscience de soi très en avance pour 1988 – particulièrement dans les interactions qu’Elvira entretient avec les personnages masculins, majoritairement négatives à l’exception de Bob. Parce qu'elle assume son corps, tous les hommes hétérosexuels veulent s’en prendre à elle en considérant que « … she was a nympho ». Cependant, en aucun cas le personnage n’a besoin d’aide pour éviter ces agressions dans la mesure où elle réussit à chasser tous ces hommes par elle-même.

Elvira: Mistress of the Dark est aussi un film qui résonne profondément avec la communauté LGBT.

Mais Elvira: Mistress of the Dark n’est pas seulement un film qui renverse les codes de la représentation féminine. C’est aussi un film qui résonne profondément avec la communauté LGBT. Tout d’abord, le parcours d’Elvira dans le film fait écho à ce qu’une personne queer pouvait vivre à l’époque. En effet, le film raconte l’histoire d’une personne en marge des autres. Elle arrive dans une ville conservatrice et se fait rejeter par tous les habitants qui ne soutiennent pas sa façon de vivre et la condamnent au bûcher en l’insultant de « perverse dangereuse » détournant la jeunesse. Peu de films de l’époque ont osé se mesurer à cette problématique du rejet des autres, surtout du point de vue de la personne écartée. Le film fait aussi référence à des éléments de la communauté LGBT états-unienne, bons comme mauvais. Le nom de la ville, « Fallwell », fait référence à celui d’un homophobe reconnu : Jerry Fallwell. Le nom du personnage Bob Redding est quant à lui une référence directe à Robert Redding, l’ami de Cassandra Peterson qui l'a aidée à créer l’apparence d’Elvira, mort du SIDA quelque temps avant le tournage du film.

Malgré la légèreté de son propos, le film met en avant une héroïne forte à la sexualité décomplexée. Cette nouvelle représentation d’une féminité libre de ses choix, est accompagnée d’une histoire qui reflète les difficultés de la communauté LGBT. Le film tend à s’ouvrir vers un public jeune, ce qui ouvre un espace de discussion pour toutes ces questions taboues à l’époque. Elvira: Mistress of the Dark est donc un classique à ne surtout pas manquer. Le personnage d’Elvira ne s’est évidemment pas arrêté à ce film. Elle continue d’exister et fait de nombreuses apparitions depuis 1988, entre un pilote de sitcom (The Elvira Show en 1993), un deuxième film sorti en 2001, ainsi que de nombreuses interventions télévisées, comme dans RuPaul’s Drag Race.