Freedom, Freedom chérie, combats avec tes défonceurs
Mister Freedom (William Klein, 1969)
Américain moyen le jour et défenseur de la liberté, de la poursuite du bonheur et du mode de vie américain le jour aussi, Mister Freedom reçoit comme mission d’aller libérer l’Hexagone des anti-Freedom qui sévissent. Accompagné d’autres amoureux de la liberté, il affrontera les terribles super-héros du bloc Est, Moujik Man et Red China Man. Derrière tout le ridicule de l’intrigue et de la mise en scène de ce film français, William Klein propose une réelle critique de la politique internationale en montrant comment le monde, à travers ses représentations médiatiques, peut devenir une parodie de lui-même.
Ce qui distingue avant tout ce film, en dehors de ses costumes kitsch et son intrigue sortie d’un fanzine publié à compte d’auteur dans une université californienne, c’est son étonnante distribution où figurent de grands acteurs français que l’on ne s’attendrait pas à voir dans de telles situations (avec même une apparition de Simone Signoret, le temps d'un plan). William Klein a en effet réussi à fédérer progressivement des habitués du grand et du petit écran autour de ce projet farfelu. Les costumes et décors, faits de matériaux de récupération et d’équipements de sport rapiécés, concourent à donner un aspect fait main à l’ensemble du film. Ainsi, on peut voir Delphine Seyrig en pom-pom girl à la perruque rousse frisée, Philippe Noiret en bibendum soviétique, Serge Gainsbourg en pianiste paramilitaire, Yves Montand en homologue français de Mister Freedom, Capitaine Formidable, sans oublier, dans la langue des Beatles, Donald Pleasence qui nous offre, à travers Dr Freedom, sa propre parodie de Truman.
En termes de réalisation, on retrouve chez William Klein l’œil du photographe dans tous les plans, que ce soit dans le positionnement des personnages ou celui de la caméra. Est ainsi capté et amplifié tout le ridicule de chaque situation. Une scène comme la rencontre avec Super French Man (une baudruche gaulliste) parvient à saisir, par des plans larges d’une qualité photographique supérieure, l’ensemble du contexte. On note également le recours à de longs plans dénués d'action, ainsi qu'une volonté de faire surjouer les acteurs pour ajouter un degré de ridicule. Un des meilleurs passages reste celui de l’ambassade américaine, long plan-séquence où déambulent pom-pom girls, agents gouvernementaux et militaires dans un immense supermarché, tandis que déblatère l'ambassadeur sur les difficultés des indigènes français à s’adapter à la civilisation capitaliste.
« Comment vont Batman et John Wayne ? »
Le postulat du film est assez clair : retourner les outils de l’entertainement américain contre lui-même afin de le critiquer et de le ridiculiser. À cette fin, placez un shérif bigarré dans un monde hostile donnant lieu à une bataille sans fin contre des hommes en collants rouges avec un ersatz d’accent russe, affublez-le d’alliés étoilés en plastique bleu-blanc-rouge, et laissez se castagner les cowboys et les Indiens : voilà la géopolitique réduite à l’échelle d’un coffre à jouets. Le film joue constamment de cette accumulation de symboles et de maladresses, à l’image de son costume principal, mélange d’équipement de football et de baseball aux couleurs pétantes. Le discours de Mister Freedom devant l’assemblée de ses fans est d'ailleurs un assemblage de ceux de nombreux présidents et hommes politiques américains : trois minutes de vent où il se présente comme un self-made-man nous vantant les mérites, les joies et les peines qu'il a dû endurer. Ce discours est suivi d’images savamment montées de publicités, mélangeant Amérindiens, parc d’attractions, Coca-Cola, défilés militaire et guerre du Vietnam, comme pour retracer l’histoire des États-Unis.
Ce film constitue un moment de dérision totale dans sa démarche et sa création.
En plus d’une critique, le film tente de nous avertir en montrant comment d’autres pays peuvent se laisser embarquer dans ce manège, à travers les pro-Freedom, ces Français se croyant acteurs des changements qu’on leur promet mais qui se retrouvent à provoquer la destruction de leur propre pays, et qui se révèlent être des pions dispensables dans le plan américain. Ce film constitue donc un moment de dérision totale dans sa démarche et sa création. C’est une œuvre dont il ne faut prendre au sérieux ni l’intrigue, ni la mise en scène, ni la performance des acteurs, mais sa charge contre la politique américaine et le consumérisme qu’elle impose aux autres pays occidentaux. Il n’est certes pas question d’oublier les nombreux défauts de Mister Freedom et de porter aux nues ses qualités. Mais, en soumettant un conflit politique et social à un traitement parodique, il nous fait prendre conscience de l’absurdité de l’amalgame d’images et d’informations qui nous sont communiqués quotidiennement (cinéma, discours politiques, luttes sociales, super-héros), et révèle au grand jour, à travers le détournement de l'image couramment renvoyée par Los Angeles, la véritable politique américaine.