En quête de réponses
Annihilation (Alex Garland, 2019)
Depuis qu’une barrière flottante et inconnue appelée « miroitement » est apparue sur Terre, recherches et explorations restent sans réponse à chaque nouvelle mission. Lena (Natalie Portman), biologiste et professeure vouée à son métier, se lance dans une mission-suicide lorsque son mari, Kane, revient après un an d’absence, persuadé de n’être jamais parti. Cette mission consiste à s’introduire à l’intérieur du miroitement, zone où toutes les lois physiques semblent chamboulées et dont aucun soldat n’est jamais revenu… excepté un homme : Kane.
« Suppression totale ». C’est la première définition trouvée si l'on cherche à définir le terme « annihilation ». En effet, le film nous submerge de cette sensation d'ignorance. Nous ne savons plus exactement ce qui existe ou n’existe pas à la fin de notre visionnage. Ce fut mon ressenti, celui des personnages aussi. Ainsi, de nombreuses questions sont soulevées, mais encore plus d'émerveillement concernant ce visionnage. Mais Annihilation va beaucoup plus loin qu’un simple film au genre fantastique. C’est un film aux multiples lectures. Le fait que chaque spectateur en ressorte désorienté confirme cette idée. Qu’est-ce qu’Alex Garland a voulu nous dire ? Y a-t-il un message caché et voulu derrière le film ? Un seul visionnage ne nous permet de pas répondre à ses questions.
Premièrement, certains le connotent comme film fantastique, de science-fiction, d’autres comme un film d’horreur, un thriller ou encore comme un drame. Apparemment, un seul genre ne suffit pas à ce film. La complexité de l’histoire rend son appropriation d’autant plus floue. Pour ma part, je qualifierais Annihilation de film fantastique pour n’en choisir qu’un. Les codes de l’horreur n’étant pas une distinction que le film s’approprie, mais plutôt une esthétique dont il s’inspire. Ce dernier joue davantage sur la confrontation du réel et de l’irréel lui permettant d’approcher des sujets tels que la mort et la maladie. Sujets sombres placés au cœur de l’histoire, mais qui sont embellis par une narration émotionnelle, des jeux de lumières épatants et des connexions improbables. C’est un film fantastique qui joue avec nos sens et notre vision de la réalité, et c’est ainsi ce qui en fait tout son charme.
Dès les premières secondes du film, nous sommes face à un nœud de questions. Les premières répliques sont interrogatives sur la suite de l’histoire et sa compréhension : “Qu’avez-vous mangé ? ” demande l’un des inspecteurs à Léna. Question banale à laquelle elle n’a aucune réponse. Puis terminant son questionnaire sur la question que je me suis moi-même posée à la fin de mon visionnage : “Alors que savez-vous ?”. Ce que nous savons, c'est que les personnages que nous rencontrons sont les maîtres de cette histoire. J'entends par là que chacun des personnages est marquant et possède une part de responsabilité dans la compréhension de l'histoire. Principalement fondés sur un casting féminin, et pas des moindres, Alex Garland nous offre de fortes personnalités caractérielles. Nous sommes face à une équipe composée de cinq femmes, jouées par Natalie Portman, Jennifer Jason Leigh, Tessa Thompson, Gina Rodriguez ainsi que Tuva Novotny.
Toutes chercheuses, intelligentes et fortes autant mentalement que psychologiquement, les femmes sont représentées par différentes histoires au travers de leurs personnages et partagent un point commun : leur combat. L'alcoolisme, la dépression, le cancer, la perte d'un enfant et peut-être la perte d'un mari, ces cinq femmes ont chacune un lourd secret. Elles se jettent au milieu du miroitement, sachant qu’elles n’en reviendront certainement pas, mais également conscientes qu'elles n'ont rien de plus à perdre. C’est ce qui les lient en quelque sorte. Ainsi, en comprenant leur histoire singulière au cours du film, nous pouvons deviner pourquoi Léna reste la seule survivante à cette expédition. Les quatre coéquipières de Léna n’étaient pas vouées à revenir au moment même où elles ont traversé le miroitement, car rien ni personne ne les attendait à leur retour, et quand bien même, en avaient-elles réellement envie ? Léna, en revanche, s'est lancé dans cette mission pour avoir des réponses aux souffrances de son mari, mais ce dernier se bat toujours pour sa vie et si Léna revient, son couple aura une chance de revivre.
On va alors comprendre, petit à petit, qu’il y a des métaphores liées à la façon de mourir de chacun des personnages. Leur mort à un sens. Le Dr Ventress, elle, souffre d’un cancer incurable et voulait voir de ses propres yeux la source de ce miroitement qu’elle étudie depuis trop longtemps sans réponse. Elle finira par être consumée par le miroitement. Josie a elle-même décidé de rester une fois avoir compris que le miroitement s’intègre aux cellules du corps humain et devient une partie de lui. Sa mort en est presque belle et douce. Elle devient également le miroitement, s’intégrant à la nature sous forme de plantes à l’apparence humaine, trouvant enfin sa place quelque part, ne l'ayant pas trouvé dans la société.
Pour continuer, Sheppard a perdu sa fille dû à une leucémie. Elle va être dévorée par un ours de sang-froid. Ce dernier est un hybride entre un ours et un fourmilier à première vue, et une fois avoir pris la vie de Sheppard, il s’approprie sa voix. Le miroitement créé des entités singulières et hybrides, à l'image de l'ours, grâce au phénomène de reproduction de cellules malignes, au même titre qu’une maladie telle que la leucémie ou le cancer, du Dr Ventress en l'occurrence. Quant à Anya, ancienne alcoolique, celle-ci sombre dans une folie noire et tente de tuer son groupe après la mort de Sheppard. Sa chute dans la folie peut être connotée comme une métaphore d’une crise d’alcoolisme. Elle ne sait pas réellement ce qu’elle fait, car elle bâillonne ses coéquipières à des chaises, poignard à la main, mais lorsque l’ours les attaque, elle le fusille sans hésitation avec le peu de force qu’il lui reste au péril de sa vie.
Léna, en revanche, se démarque, parce qu'elle ne suit pas le même combat que ces femmes. Cette dernière s’est aventurée dans le miroitement à la recherche de réponses. Pourquoi son mari ne se souvient-il de rien ? Pourquoi n’est-il pas mort ? Que s’est-il passé ? Elle compte bien y répondre, quitte à mentir à ses coéquipières en ne dévoilant pas l’identité de son mari et de son précédent voyage dans le miroitement. Son combat, c’est son couple. Celui-ci n’est pas encore mort tant que Kane ne l'est pas non plus. Si elle ressort du miroitement avec les réponses voulues, elle sauve son couple, détérioré depuis que son mari a disparu. Son adultère et son manque d’intérêt envers Kane depuis qu’il est parti, sont des remords qui la poussent également à partir et à vouloir sauver son couple.
Cependant, c'est lorsque nous comprenons que Kane s’est donné la mort dans le phare, que nous réalisons que ce dernier n’est jamais revenu. C’est son double créé par le miroitement qui est en face de Léna. La scène finale est ainsi une scène à double tranchant, qui a par ailleurs alimenté notre confusion. Lors des plans rapprochés sur les pupilles de Lena et Kane, lorsqu'ils s'entrelacent, nous apercevons le reflet brillant du miroitement qui fait maintenant partie d’eux. Cela nous confirme la mort de l’« ancien » Kane mais sème aussi une ambiguïté sur l’identité de Lena. Est-elle vraiment sortie du miroitement ou est-ce son double à l'instar de Kane ? L’interprétation de cette fin est en fin de compte libre à chacun.
Pour ma part, je pense que Lena est bel et bien ressortie de ce miroitement, mais avec quelque chose en plus. Une part d’elle qu’elle avait perdu depuis le départ de Kane et qui l’a renfermé dans des remords et une profonde solitude, mais également une part du miroitement qui l'a rendu plus forte. Elle a tué son double dans le miroitement et a ainsi tué une partie d'elle-même par ce geste. En fin de compte, une “Lena” est bel et bien morte durant cette mission au même titre que ces coéquipières et une nouvelle version d'elle-même s'est construite. Le reflet que l’on voit dans sa pupille nous confirme qu’elle est devenue quelqu’un d’autre au travers de cette mission. Elle a muri, elle a eu ses réponses et sait que Kane est bel et bien mort, ce dont elle se doutait depuis des mois maintenant, mais dont elle en a dorénavant la certitude. Sortir de la zone du miroitement est donc bel et bien possible mais pas sans sacrifice. En effet, toutes les personnes revenues qui ne sont autres que Lena et Kane, ont été victime d’annihilation. Leurs souvenirs sont brouillés et leurs âmes sont changées.
L’histoire d’Annihilation est un plaisir visuel qui nous offre une apesanteur de suspense, qui arrive à nous bercer et à nous absorber. Un mélange de tous les possibles : folie, suspense, nature, surnaturel, peur et beauté. Aucun élément ne semble s’affilier à un autre, pourtant tout arrive à s’assembler au visionnage. Et comme le nomme Léna quand on lui demande de décrire l’intérieur du miroitement, le film nous parait “fantasmagorique”. C’est un mystère autour de l’évolution d’une femme sur le point d’être brisée. Ceci mis en parallèle avec le combat d’autres héroïnes, et abordant ainsi des sujets personnels et délicats d’une manière esthétique et métaphorique. La narration peut paraître illisible et confuse à première vue, mais c’est une raison valable de regarder sous un autre œil le film d’Alex Garland une nouvelle fois, pour y déceler ses secrets, se faire sa propre vision des choses et se délecter de son esthétique aussi rare qu’époustouflante.
Lucie Toto