Un diamant brut
Portrait de Marylin Monroe
L’éclat solaire des stars continue d’éclairer le monde même après leur mort. Marilyn Monroe constitue la principale source de chaleur du système. Cette sulfureuse personnalité a été forgée dans la pierre et polie jusqu’ à former un véritable diamant. À ses débuts, c’est en tant que pin-up qu’elle a provoqué Hollywood, pour devenir, après un travail acharné, un sex-symbol mondial, et finalement se retrouver égérie de la culture pop du XXe siècle, dessinée par les mains d’Andy Warhol. La fin de sa carrière a malheureusement vu le bloc de glaise se laisser emporter par les chutes du Niagara ; elle est alors passée de la poupée parfaitement sculptée à des bouts d’argile grossier.
La suite donnera l’ode, l’hommage, le requiem à cette rose d’une éternelle fraîcheur dont les pétales parcourent les courants du cinéma. L’étendue d’une œuvre dans ses meilleurs comme ses plus mauvais jours.
Les débuts d'une star
L’œuvre de Marilyn commence réellement en 1950 avec sa courte apparition dans Ève (Joseph L. Mankiewicz, 1950). Lorsque la Saint-Jacques a ouvert son diaphragme, une des plus magnifiques perles en est sortie. Douce et blanche, dans un univers où le noir règne. Comme un « baby » (expression connue de Marilyn) découvrant la lumière, cette vénus à peine naissante, ne peut s’arrêter d’observer le monde qui l’entoure à ne plus en cligner les yeux. Elle adopte un regard rempli de gourmandise plus qu’un regard séducteur. Le croiser pourrai vous méduser. Néanmoins c’est par sa voix que la sirène enchante. Chaque discours, phrases, mots, lettres qu’elle prononce suffit à vous envoûter pour toujours. Celle qui est née de l’écume en a hérité le bruit suave et enivrant. C’est dans sa voix qu’est née la profondeur de l’océan.
La sulfureuse
Après des rôles plus qu’anecdotiques, de la simple femme-objet provocatrice dans Chéri, divorçons (Richard Sale, 1951) au Démon s’éveille la nuit (Fritz Lang, 1952), miss Monroe a bien failli se métamorphoser en l’un des nombreux démons chrétiens d’Hollywood. Un personnage régi par des idées moralisatrices et machiste. Après avoir été « trouble » (Troublez-moi ce soir, Roy Ward Baker, 1952), la blonde revient pour troubler et devient le doux courant déchaîné de l’eau du Niagara. L’on voudrait payer un ticket pour voir les chutes et prendre la place des lèvres de Richard Allan (Patrick, l’amant de Rose). Car durant l’entièreté de Niagara (Henry Hathaway, 1953), chaque image se fait attendre de sa présence, elle occupe tellement d’espace à l’écran que sans ses lèvres rouges, le film devient trop sombre. L’on s’en rendra compte durant toute la durée qui suivra son évanouissement à la morgue après avoir vu le corps de son mari soi-disant mort. Les secondes défilent comme des minutes et les minutes comme des heures pour finalement nous réveiller avec le tintement des cloches au côté d’une rose blanche. Le film danse pour elle et avec elle, sur le rythme d’une valse qui hurle de l’embrasser. L’une des plus belles scènes du film est la sortie de son Chalet en rose bonbon. Lors d’une soirée organisée par le camping, elle interrompt le déchainement de la soirée avec son disque vinyle de « Kiss ». Une musique douce, sur laquelle son visage posera dans des plans rapprochés détaillant l’entièreté de son visage. La statue se présente à nous dans ce film comme un véritable chef-d’œuvre. Modelée à la « perfection », elle scintille dans le cadre intime qui nous est offert. À ce moment ce n’est pas une simple blonde, c’est Marilyn Monroe qui s’affirme.
Du moins c’est ce que l’on aurait aimé dire… Malheureusement, la même année, un accident tragique se produisit. Une blonde idiote est venue pour être la doublure de Marilyn Monroe dans Comment épouser un millionnaire (Jean Negulesco, 1953). À croire que Marilyn Monroe ne pouvait pas être sur tous les plateaux. Même avant que Kim Kardashian détruise l’image de Marilyn, les studios de la Warner s’en étaient déjà chargés. Son rôle est aussi bon que le cheval de Troie : Elle reviendra jusqu’à la fin de sa carrière dessus à en devenir de plus en plus ridicule. Les touches d’humour de son personnage relèvent le niveau du puits. Un humour « innocent » et « spontané », qui relèvent de la farce de Molière. Mais ce n’est pas le pire rôle ! Agnès (L’école des femmes, Molière, 1662) dans ses pires rôles jouera la bigleuse, l’auto-stoppeuse et la danseuse. Toujours en face d’hommes encore plus désolants. Ce serait le moment de leur dire « Bye, bye Baby » (Les hommes préfèrent les blondes, Howard Hawks, 1953). Certes « Every [body] needs a Daddy » (Les Reines du music-hall, Phil Karlson, 1948), mais pas des hommes sortis de l’asile !
Marylin devient Monroe
Fermons pour le moment cette boîte de pandore car ce n’est pas le pire des maux qui en est sorti. C’est dans Lorelei Lee que le diamant se montrera pour la première fois dans Les hommes préfèrent les blondes. L’écrin dans lequel s’est placé la star a, en plus de mettre en valeur ses formes, permis de présenter la complexité d’un personnage blond certes mais surtout d’une intelligence qu’on lui envierait. Encore une fois, ce soleil fait tourner dans son sens tous les astres qui l’entourent. Personne ne peut contraindre cette tentatrice. Tous les événements, même les plus mauvais comme le vol du diadème, sont propices à une réussite encore plus grande. Un personnage qui contrairement à celui de Jane Russell cache que trop bien son jeu. Elle le dira même trop bien, si elle dévoilait tous d’elle, les hommes n’en voudraient plus. Elle nous provoque, nous fait rire, nous éblouit… Le duo musical est, de plus, aussi puissant sur scène que Starsky et Hutch. En traversant l’Océan Atlantique pour Paris, les sirènes ont réussi leur coup et ont envoûté tout le navire : là où leurs ancêtres ont échoué (L’Odyssée, Homère). C’est qu’une fois arrivée sur les planches du cabaret de Paris que Marilyn Monroe, en chantant « Diamonds Are a Girl’s Best Friend », se détachera de son duo. Le monde entier connaît alors Marilyn Monroe. Cependant il est dommage de séparer cette scène du film et de la rendre iconique sans en citer le reste. De la même manière que la bouche d’égout dans Sept ans de réflexion (Billy Wilder, 1955) . Même si je ne peux extrapoler sur ce film étant donné que Marilyn est juste, dans ce film, belle, drôle et blonde. L’on ne peut pas dire que ce sont de mauvais rôles quand on la voit dans trois certains autres films.
L’eau court pour se renouveler et être nettoyée. L’eau de la Grande rivière Aphrodite ne finit pas son chemin dans le Styx. La Rivière sans retour (Otto Preminger, 1954) ne l’est que de nom, car c’est cette rivière qui revient pour faire battre les cœurs à l’unisson. Elle amène vers un grand voyage émotionnel dans les bras de Marilyn Monroe. Elle joue Kay Weston, une femme de cabaret qui tente de fuir le monde avec son mari mais celui-ci prend tous son argent et l’abandonne. Elle restera donc avec un cow-boy et son fils. Elle sera mère et guerrière. Je ne me tromperais pas en disant que c’est dans la rivière que le diamant est le mieux poli, le plus brillant, le plus dur, le plus fort, le plus resplendissant, le plus attirant, le plus surprenant. Ce n’est pas dans un écrin qu’il faut placer Marilyn, mais au contraire la laisser se dévoiler à la lumière du soleil naturel. Ce chef-d’œuvre aurait dû amener les spectateurs à laisser le diamant évoluer dans l’eau au lieu de le placer sur la bague de mariage. Tout ce que l’on vous a montré, dit ou raconté sur Marilyn Monroe vous vous devez de le laisser s’écouler dans « La rivière sans retour » car Otto Preminger a compris comment fonctionne Marilyn, de sa source à son confluent. Il nous est enfin présenté une femme qui possède des sentiments propres et profonds. Sa voie n’est plus celle, bourrée d’illusions, de la sirène, là pour vous ensorceler. Marilyn Monroe a échangé sa queue contre deux magnifiques jambes et une voix qui ne possède plus de magie mais quelque chose de vrai : des sentiments. Elle chante « pour peindre en mille couleurs l’air du vent ». Elle n’est plus là à bouger tel un pendule pour nous hypnotiser de ses mouvements. Elle est là, statique avec sa guitare, ses rêves, son cheval et son pistolet chargé de douleurs, de colères, d’amours et de tristesses. ENFIN ! Marilyn Monroe joue un personnage complexe, un personnage Humain. Pygmalion (mythe grec) a eu raison de son œuvre. Dans ce film, les moments où elle paraît idiote c’est avec un idiot, manipulateur, toxique du nom de Matt Calder (Robert Mitchum). Courez trouver cette pépite d’or car le filon n’existe pas.
Des erreurs qui coûtent cher
J’aimerais tellement m’arrêter là et ne plus dire mot… Malheureusement il faut que je vous prévienne du plus grand danger que vous risquez d’affronter. C’est le moment des films que vous ne devriez regarder sous aucun prétexte. Même sur le bûcher demandez à être brûlé sur-le-champ. La douleur physique n’est rien comparé à la douleur mentale et visuelle. Je les placarde sur le mur des « Not Wanted ». Arrêt d’autobus (Joshua Logan, 1956) et Le Prince et la Danseuse (Laurence Olivier, 1957). Je préfère vous le donner dans deux langues car si vous trouvez les copies originales ou en magasin mettez feu à la structure. Marilyn devient la plus grosse victime des histoires de l’histoire. En première place devant Ève, Méduse ou encore Fantine. Fermez l’écrin car le diamant a fini en miettes. Le plus désolant est que ces deux croûtes ont été produites en plein milieu de sa courte carrière. Vous voulez voir ce corps pour coucher avec ? Prenez une poupée gonflable elle sera beaucoup moins insupportable que cette doublure clichée de Marilyn Monroe. Le plus triste est de voir la fatigue qui transparaît dans ses yeux de porcelaine. Certains diront « l’humour » ; je leur pose donc la question « quel humour ? ». L’humour réside dans le comique d’une femme qui se faire enlever ou bourré pour profiter d’elle. Les situations on peut être pour but de faire rire mais seulement les machos. Marilyn sait ce qui se passera et c’est son intelligence sociale sur le comportement masculin qui rend ces films terrifiants. Elle arrive une première fois à les repousser mais le harcèlement des hommes fait qu’elle finira par les épouser. Même si dans Certains l’aiment chaud les hommes la manipule pour finir avec elle au moins ils acceptent de « se ridiculiser ».
Parlons de Certains l’aiment chaud justement. Billy Wilder a eu le don de décevoir… La jeune blonde est au sommet de la tour, mais de la mauvaise. Ses cheveux sont trop courts pour pouvoir inviter quelqu’un à la rejoindre. Elle se terrera alors dans une marionnette qui a la volonté de se faire manipuler. Ce n’est clairement pas dans Marilyn Monroe que l’on vient puiser le rire mais dans les travestis et leurs comportements. Des acteurs à la hauteur de la star mais une star qui n’est plus à la hauteur. Elle est la chanteuse et musicienne d’un groupe de entièrement féminin jusqu’à ce que deux hommes travestis arrivent. Elle passe son temps à boire et a fréquenter un saxophoniste travesti qui se fait passé pour un homme riche. Un simple corps statue là pour se présenter et satisfaire le regard masculin. Sa complexité égyptienne avait un charme des plus scintillants et accueillants. L’étoile s’est échappée sur le Nil. Certes ça fait toujours plaisir de voir une étoile dans le ciel mais on l’a perdu dans sa constellation. Mère nature lui avait fait tant de cadeaux, pour qu’elle finisse par les abandonner et ne laisser que son enveloppe charnelle.
Un diamant sans éclats
Dans Le Milliardaire (George Cukor, 1960) son corps n’est plus sujet. Elle est là mais pas en tant que Marilyn Monroe, bien loin de là. C’est la première fois que l’on a affaire à un personnage humain comme il y en a des plus simples. Pas une Monroe humaine, bien un personnage humain. Elle n’est pas là pour s’exhiber mais la profondeur de ses sentiments se résume à pas grand-chose. Elle est comédienne et prépare « un show » musical à New-York. Toute l’histoire tourne autour du Milliardaire dont elle ne connaît pas l’identité mais qui va participer au spectacle. Rien de plus et même les scènes or « musical » n’apportent pas grand-chose. Si ce n’est quelques interactions avec le milliardaire où elle critique et parle de lui. Elle est drôle malgré elle encore une fois, elle chante bien encore une fois, elle danse bien encore une fois, ses relations sont troubles encore une fois ... Un timbre qui s’est usé à force de traverser et d’être collé sur une infinité d’enveloppes. L’on est rendu à un point où la découverte de mots est inexistante. N’importe quelle star aurait pu jouer ce rôle et cela aurait sûrement été préférable. Certes c’est une prouesse de faire transparaître madame tout le monde mais ce n’est pas madame tout le monde. Tout est impersonnel et Marilyn répond comme imposteur de l’imposture. Le film est agréable, mais à l’intérieur de ce carton Marilyn Monroe ne scintille pas. Sauf que quand le diamant ne scintille pas sur le plateau personne ne le fait. Yves Montand en a fait l’expérience à ses côtés dans le rôle du « milliardaire » en question. On se rend alors compte que la star Marilyn Monroe est morte…
Dans son dernier film, Les Désaxés (John Huston, 1961) c’est la tristesse de cet éclat éteint qui nous est racontée. Marilyn Monroe n’est plus qu’elle-même, recouverte par un voile noir de noces funèbre et émettant une aura blanche sur chacun de ses plans. Son sourire signe l’abandon de tout espoirs. Impossible de l’entendre rire sans que des larmes ne coulent. La rose signe de son sang un « adieu ». Elle même le dira dans ses carnets, que personne n’a compris la sincérité du film et la véracité des propos. Sentiments de tomber, d’être manipulée, d’être seule et abandonnée. La rose est dans l’incapacité des refleurir une fois arrachée et fanée. Marilyn Monroe est triste pour elle et personne d’autre. Le recul qu’elle a pris sur ses rôles précédant était tellement important qu’elle est tombée dans le buisson de ronces avant même de l’avoir vu. Elle joue ici un semblant de sa vie en tant qu’une femme désespérée qui a trouvé l’amour et qui décide de fonder un foyer avec cet inconnu. L’amour pour Vénus est impossible, elle en est consciente et ne sait plus faire semblant. C’est donc sur plus de la moitié du film qu’elle ressaisit un rôle impossible à porter tant des épines y sont accrochées. Toutes les scènes où elle est heureuse transparaissent comme le soleil noir. Seuls trois moments son bien joués et sincère. Malheureusement ce sont des scènes d’absences. Son histoire d’amour personne n’y croit même pas elle. À la toute fin du film l’on retrouve le fantôme à gorge déployée criant sa haine et sa solitude à vous en donner des frissons. Le moment se conclut par son envol pour le paradis. Ce n’est clairement pas un bon film c’est même le plus horrible. Un film fait pour elle mais qui la desserre quant à sa capacité à jouer la joie. Ce film est le dernier film que vous devez voir. Si vous n’avez pas suivi sa déchéance ne pensez même pas à le visionner. Vous regarderez ce film au bout de la rivière pour entendre les dernières paroles de Marilyn Monroe et conclure cet hommage à ma place.
Mathys Bonnet