Parler sans utiliser de mots
Entretien avec Mélinda Dillinger et Lucie Toto (réalisatrices, étudiantes de L3)
Mélinda Dillinger et Lucie Toto, deux amies actuellement en troisième année de Licence Cinéma et audiovisuel, ont réalisé ensemble un film expérimental sur les souvenirs et les réminiscences de l'enfance. Durant l'entretien, les compliments qu'elles se font mutuellement ne sont pas rares. Nous y revenons sur la conception d'un film à deux, les possibilités offertes par le cinéma expérimental, ainsi que la place des costumes et du maquillage.
Vous avez réalisé un court-métrage dans le cadre d'un TP expérimental avec Marc Hurtado. Vous avez choisi de le faire ensemble : était-ce juste parce que vous étiez amies, ou parce que vous aimiez travaillez ensemble ? Vous vous comprenez sur le plan filmique ?
Lucie : On avait déjà travaillé ensemble pour des travaux qui n'étaient pas des films, mais, justement, on savait déjà comment on travaillait l'une avec l'autre. Faire un film était quelque chose de nouveau pour nous deux, donc ça nous a tenté de le faire ensemble.
Mélinda : Et on est très complémentaires.
Lucie : Oui !
Mélinda : J'avais mes idées, et Lucie est une très bonne monteuse. Elle a de très bonnes idées de cadrage.
Il y a donc une division du travail ? L'une réfléchit à la conception du film, et l'autre exécute l'idée ?
Mélinda : En fait, j'avais une idée, et Lucie rendait cette idée encore mieux que je ne l'imaginais.
Lucie : Quel compliment !...
Mélinda : C'est réel.
Et vous n’aviez jamais fait de courts-métrages avant ?
Mélinda et Lucie : Non.
Mélinda : J'avais juste fait un clip.
Tu peux m'en dire plus ?
Mélinda : Je l'ai fait avec un ami, pour un stage. Dès le premier jour, on nous a demandé une note d'intention avec le choix de la musique, une esthétique, ça me faisait stresser car je n'avais jamais rien réalisé avant. Mais finalement, c'était excellent comme expérience, même si, a posteriori, je me dis qu'on aurait pu faire mieux.
Ce court-métrage que vous avez réalisé ensemble évoque l'enfance, vos souvenirs. Vous l'avez en partie réalisé à partir d'images d'archives tournées au caméscope par vos parents ou des membres de vos familles quand vous étiez petites. Quelle était votre intention ?
Lucie : On voulait beaucoup parler de notre enfance mais, surtout, de notre inner child.
Mélinda : J'ai tout de suite eu des idées. Avec Lucie, on a pris nos calepins et on a tout noté. On ignorait encore la thématique qui serait donnée par l'enseignant. Mais pour je ne sais quelle raison, on a directement pensé à faire un film sur l'enfance. Quand on a appris que le film devait évoquer la confrontation entre la chair et l'esprit, ça nous allait très bien et on s'est dit qu'on allait faire un film sur l'inner child.
Qu'est-ce que c'est ?
Mélinda : C'est ton enfant intérieur. C'est l'idée que nous évoluons mais que nous sommes toujours sous l’influence de nos souvenirs d'enfance, ainsi que d'un socle conservé depuis l'enfance. J'ai trouvé en ce concept l'équilibre entre l'esprit et le corps, car ce sont des souvenirs incarnés dans un corps.
Lucie : Et l'aspect matériel du concept, on l'a aussi illustré à la fin, lorsque Mélinda s'arrache la peau. C'est comme si elle s'arrachait le reste de son enfance.
Ah, vous aviez d'abord des idées visuelles, absurdes dans le sens où elles n'avaient pas de signification, mais après coup vous leur donniez du sens…
Lucie : Pas vraiment, on a aussi travaillé autrement.
Mélinda : L'enseignant tenait à ce qu'on respecte sa thématique et, comme notre thème était surtout axé sur l'esprit, la psychologie et le souvenir, on a voulu y mettre de la matière. J'ai alors pensé à travailler avec du make-up, prendre du latex, faire une seconde peau, qu'on puisse enlever, etc. Quand on a réalisé cette idée avec Lucie, nous savions exactement ce que cela signifiait mais, a posteriori, il faudrait qu'on se replonge dans notre travail pour se souvenir de tout ce que l'on voulait signifier. Chaque plan avait une fonction bien précise, une idée directrice.
Il y avait l’aspect images d'enfance, caméscope DV dans votre film, et aussi des plans tournés à la fac dans lesquels vous tourniez toutes les deux.
Lucie : Il y avait aussi beaucoup de gros plans sur nos visages, et des plans dans lesquels on regardait des albums photos personnels.
Mélinda : Et on avait fait des portraits. On s'était dit que ce serait intéressant de faire nos portraits en plan rapproché. L'objectif était de rester devant la caméra un certain temps pour voir comment on réagissait, parce que, quand on est enfant, on est très spontané, alors qu'en grandissant, on pense plus à son image.
C'est intéressant, vous vouliez retrouver la spontanéité de l'enfance ?
Lucie : Oui. Et c'était aussi une expérience, parce que nous n'étions pas très à l'aise devant la caméra. Je n'étais pas dans mon élément. Mais c'était une bonne expérience, ça m'a sorti de ma zone de confort.
Mélinda : J'avoue que moi, j'étais à l'aise (rire).
Et ça vous intéresse de continuer à faire des courts-métrages ensemble, ou bien c'était exceptionnel ?
Lucie : Si on a l'occasion, un jour. Mais je veux rester derrière la caméra. Et surtout, ce qui m'intéresse le plus, c'est la post-production. Un film, ça se crée aussi au montage.
Mélinda : J'ai adoré faire ce film. J'avais beaucoup de doutes au début, car je n'avais jamais fait de cinéma expérimental de ma vie. Mais en fait, ça me correspond très bien. La fiction, c'est un peu une phobie. Autant j'adore les films de fiction, autant en faire ne me plairait vraiment pas. L'expérimental m'a aussi donné confiance en moi : je pensais n'être capable que d'analyser, mais ça m'a fait creuser mon côté créatif. Ça m'a fait très plaisir.
Lucie : Et on s'est servi de tout notre savoir pour réaliser ce film. Les costumes et le maquillage y tiennent une place importante.
Mélinda : Je sais que si je fais un film, c'est évident que le maquillage et les costumes vont être au centre de tout. Donc, quand j'ai pensé à notre thématique, j'ai aussi pensé à cet aspect-là. Quand j'étais petite, je mettais tout le temps des robes de princesse, donc pour le film j'ai utilisé un outfit qui renvoie à ces robes. Et Lucie m'a expliqué comment elle s'habillait quand elle était petite. Je lui ai conseillé un outfit en rapport. Le résultat rend bien car on voit la différence entre nos deux personnes.
Lucie : C'est efficace car ces différences se voient tout de suite, à l’œil.
Après avoir vu le film, je vous avais reproché de ne pas avoir utilisé la bande sonore des vidéos d'archives. Je n'aime pas les images muettes.
Mélinda : Nous, ce qu'on voulait, c'était composer une musique à l'omnichord. J'adore la reprise du morceau « Remember You » par la chanteuse Trillian, elle-même composée à l'omnichord. Elle m'évoque beaucoup mes souvenirs d'enfance, et je voulais vraiment que l'on ait une trame musicale qui nous renvoie à tout cela. Je voulais un rendu poétique avec la musique comme seule bande sonore, et j'aurai trouvé tire-larmes de laisser nos voix de quand nous étions enfants. Je ne voulais pas quelque chose de triste, je voulais exprimer mon ressenti et celui de Lucie.
Lucie : Puis c'est un film muet, on voulait montrer, parler sans utiliser de mots.
Propos recueillis par Victor Audier