Que chaque film touche les étudiants

Entretien avec Anissa Medjebeur et Jade Ben Abbes (programmatrices, étudiantes de M2)

Paul Va Au Cinéma est un festival étudiant organisé chaque année par les étudiants de l’université Paul-Valéry Montpellier 3. Pendant près d’une semaine, s’y enchaînent projections de films, masterclasses, rencontres avec des professionnels et activités ludiques ayant pour but de rendre le cinéma plus accessible à un public majoritairement étudiant. Pour en savoir plus, nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir avec Anissa Medjebeur et Jade Ben Abbes, étudiantes en Master Cinéma et audiovisuel et membres de l’association L’écran et son double. Toutes deux ont pris part à l’organisation de la huitième édition du festival.

Qu’est-ce que Paul Va Au Cinéma ? Quel est votre rôle au sein du festival ?

Anissa : C'est un festival étudiant organisé par l’association étudiante L’Écran et son double. Il s'agit d'un festival entièrement bénévole et d’ailleurs entièrement gratuit pour les étudiants. Mon rôle se trouve au sein du pôle programmation qui s’appelle « C’est au programme ».

Jade : Ça s’appelle « C’est au programme » car au tout début, la création de Paul Va Au Cinéma se faisait dans le cadre d’un cours de L3 coorganisé par Guilhem Brouillet. On a gardé cette appellation, et au fur et à mesure l’association L’Écran et son double a repris à son compte le festival pour qu’il ne soit plus organisé que par des étudiants. Tout comme Anissa, je fais partie du pôle programmation. Cette année on était entre cinq et six au sein de ce pôle et ça s’est très bien passé ; on est tous rapidement tombés d’accord sur les films que l’on voulait mettre en avant.

Anissa : L’avantage c’est que l’on est tous des amis cinéphiles outre les cours, donc ça s’est reflété au niveau de la programmation. On a essayé au maximum d’éviter une programmation qui soit trop un entre-soi et un projet entre amis. Par exemple, Rachel [Alcoverro, trésorière de l’association L’Écran et son double] présentait chaque année des films qui malheureusement n’étaient pas sélectionnés car ils sont trop indépendants, et ce sont des films de niche. Pourtant, cette année on a pu sélectionner une programmation assez pointue.

Comment se passe la sélection des œuvres programmées ? Y-a-t-il un fil conducteur pour le choix des films ?

Anissa : On n'a pas de thème particulier. Par contre, on souhaite que chaque film puisse toucher les étudiants d’une certaine manière, et surtout on veut présenter des films que les étudiants n’ont pas l’occasion de voir ailleurs. Dans mon cas, ce qui m’intéresse est le cinéma d’Asie de l’Est, j’avais alors proposé un film hong-kongais, un film vietnamien et un film japonais ; c’est le film japonais qui a été sélectionné. L’objectif est que chaque programmateur reflète un pan de cinéphilie.

Jade : Comme l’a dit Anissa, notre angle d’attaque était de mettre en avant des films qui avaient été peu vus ou invisibilisés, des films auxquels les étudiants n’avaient probablement pas eu accès. C’est pour cela que nous avons essayé de mettre en avant des films autant réalisés par des hommes que par des femmes. On a sélectionné par exemple La Bataille de Solférino de Justine Triet, qui est le film qui a révélé cette réalisatrice. C’est aussi un film à la croisée de plusieurs genres – dont la comédie –, donc on pensait aussi que ça pouvait toucher d’une certaine façon le public étudiant. Il y avait également le film La Reconquista [de Jonás Trueba] qui est un film espagnol jamais sorti en France. C’était important à nos yeux de pouvoir amener ces films-là à un public français et à un public étudiant par le biais du festival. C’est cela qui a fait la force de notre programmation.

Comment se négocient les droits avec les professionnels ? Est-ce que vous avez l’impression d’être prises au sérieux en temps qu’étudiantes ?

Anissa : Ça varie selon la structure, c’est-à-dire le distributeur du film. Personnellement, j’ai travaillé avec Carlotta Films [distributeur de films de patrimoine], et la Nikkatsu, producteur et distributeur japonais. Je n’ai pas vraiment eu de problèmes avec eux parce qu’ils sont cools. On a la chance d’avoir Rachel dans l’équipe qui est assez expérimentée et qui nous a fait des mails type pour contacter les distributeurs. J’ai vraiment eu le sentiment d’être prise au sérieux. En plus, au niveau de la négociation des droits, c’est plutôt avantageux de dire qu’on est un festival étudiant, qui plus est quand la séance se passe à la salle Jean Moulin : c’est une séance non commerciale, gratuite, qui prend place dans un cadre associatif, donc on a une réduction au niveau des droits. Jade, elle, a une expérience un peu particulière. [Rires]

Jade : Pour Anissa, ça a été beaucoup plus fluide. En apparence, on aurait pu croire que ça serait compliqué parce qu’elle devait s’entretenir avec la Nikkatsu, mais ils ont été adorables. Les deux films dont je m’occupais étaient ceux qu’on avait prévu de diffuser dans des cinémas : un au cinéma Diagonal et un au cinéma Utopia. Il faut savoir que pour le film La Bataille de Solférino, la structure qui a le catalogue de Justine Triet est Shellac, qui se trouve à Marseille. Quand je les ai contactés, il y a eu un conflit avec la personne qui s’occupait de la vente des droits du film puisqu’il ne m’a pas prise au sérieux. Est-ce parce que je suis une femme ? Je ne pense pas, du moins je ne l’espère pas. Ou est-ce que c’était plutôt parce qu’il était un petit peu frileux vis-à-vis de l’organisation étudiante ? En tout cas, nous avons réussi à trouver un terrain d’entente lorsqu’il a contacté la structure du cinéma, et notamment Noémie du cinéma Diagonal ; ça l’a beaucoup rassuré, je pense. Le cinéma Diagonal travaille depuis un certain temps avec le festival Paul Va Au Cinéma. Chaque année, ils nous font confiance pour reprogrammer un film ; je pense que ça a rassuré Shellac. Après, tout s’est très bien passé.

La particularité lorsqu’on programme un film dans un cinéma, c’est que ce dernier s’occupe de demander les droits du film, ce qui facilite un peu les choses. Or, le film que l’on a diffusé à Utopia – La Reconquista – n’a jamais été distribué en France. Là s’est posé le problème de trouver s’il y avait une copie existante du film avec des sous-titres français que l’on puisse obtenir. Ça n’a pas été facile, on s’est égarés, on ne savait pas trop où aller puisqu'on ne savait pas qui avait les droits du film. Le cinéma Utopia a fini par apprendre que Shellac était en charge des droits ; nous devions alors négocier le prix. Étant donné que le film n’avait pas été distribué en France, la copie était assez onéreuse, aux alentours de quatre-cents ou cinq-cents euros. Le cinéma Utopia a été vraiment cool en participant à la somme que nous devions payer. Dans le cadre du festival, les droits de diffusion des films représentent un des plus gros budgets, c’est très cher.

Comment se passe le financement du festival ?

Anissa : Tout se fait avec des dossiers à déposer pour avoir des financements. Il y a une aide de l’université, du CROUS, et on a également passé quelques concours, dont un qui nous a permis d’obtenir une aide de mille euros.

Jade : Les projets étudiants du CROUS. Sinon, chaque année nous demandons des fonds au FSDIE (Fonds de Solidarité et de Développement des Initiatives Étudiantes) et à la CVEC (Contribution de Vie Étudiante et de Campus) du CROUS ; ce sont nos plus gros financements. Les droits des films sont ce qui coûte le plus cher. Il faut aussi compter les défraiements de billets d’avion et de nuits d’hôtel des invités. Ce sont les plus gros postes de dépense, mais ça vaut pour tous les festivals.

Anissa : Ça varie aussi chaque année. Par exemple, l’an dernier Paul Va avait un énorme budget communication. Dans une perspective peut-être plus éco-responsable, nous avons cette année décidé de baisser le budget communication, notamment au niveau des flyers et des programmes. C’était impensable de produire autant de flyers et de programmes que l’année dernière. Savoir équilibrer un budget, c’est un sacré travail et on remercie toute l’équipe financière qui s’en est occupé. Le festival est reconnu au sein de l’université et au niveau des cinémas ; c’est un événement assez attendu.

Par rapport aux éditions précédentes et puisque cette année le festival se déroulait lors du blocage de la fac, est-ce qu’il y a eu un impact négatif sur la fréquentation ?

Anissa : J’étais là l’année dernière sur le festival, en tant que bénévole. Il y a eu beaucoup de monde à la soirée d’ouverture parce que c’était Zaï Zaï Zaï Zaï, gros film, grosse comédie. Au final, par la suite, on s’est rendu compte que les séances qui se trouvaient à Jean Moulin avaient du mal à mobiliser les étudiants ; il y avait clairement un problème d’audience. Cette année ça a été l’inverse, le festival a eu un peu de mal à démarrer, les deux premières soirées étaient un peu difficiles pour nous, mais à partir du mercredi ça a été une réussite absolue. En tout j’ai eu plus de soixante personnes à ma séance à Jean Moulin, ce qui est le maximum qu’on peut accueillir. Jade, combien en as-tu eu ?

Jade : C’était la plus grosse salle du cinéma Utopia qui était presque pleine, donc aux alentours de soixante-dix personnes.

Anissa : Pour un film espagnol qui dure deux heures, avec principalement des dialogues, on était vraiment contentes.

Jade : C’était super !

Anissa : En perspective du contexte actuel [et du blocage], on est super contentes de ce qu’on a pu faire. Pour nous, c’était une action politique de garder un festival étudiant en période de blocage, de pouvoir diffuser des films, et de garder une vie sur le campus. La fac bloquée ça ne veut pas dire fac fermée et morte.

Jade : Là où ça a été un peu compliqué, c’est qu’habituellement au niveau de la communication on fait pas mal de promo sur le campus la semaine qui précède le festival, donc le blocage a diminué la visibilité qu’on pouvait donner au festival. Mais on a énormément compensé avec une communication sur les réseaux sociaux prévue en amont ; depuis un mois la communication se faisait sur tous nos réseaux, donc je pense quand même que le festival a réussi à être connu de tous.

Anissa : Et puis on a eu un sacré appui des enseignants, on l’a senti sur certaines séances où il y avait du monde, dont beaucoup d’étudiants et d’enseignants. On est contentes au final du résultat. Ça donne un bel espoir pour la suite et, surtout, pour l’année prochaine si on continue à défendre une programmation pointue cinéphile pour les étudiants.

Est-ce qu’il y a d’autres problèmes auxquels vous avez fait face et qui ont pu perturber l’organisation, ou même le déroulement du festival ?

Anissa : Les conflits d’intérêts, les conflits entre nous. Mais ça s’efface petit à petit. On est une équipe, une vingtaine à être actifs dans le festival et il y a des sujets où ça a été la discorde. Par exemple, pour l’affiche du film, il y a eu un souci éthique : les pôles programmation et communication n’étaient pas d’accord sur le choix. Ça a été compliqué, mais au final ça s’est bien passé. Le festival, il ne faut pas oublier que ce sont des humains, des gens, et dans une équipe il faut vraiment savoir s’accorder et respecter tout le monde pour faire en sorte quand même que ça soit une safe place. Ça permet d’éviter qu’il y ait des soucis fréquents que l’on peut retrouver dans les grosses structures : homophobie, racisme, transphobie, etc. Il faut être honnête, les gros festivals sont avant tout des évènements gérés par des gens qui font de l’événementiel, donc ce ne sont pas toujours des safe places. Nous, c’est aussi quelque chose qu’on essaie de défendre.

Jade : On avait d’ailleurs un pôle inclusivité, avec des personnes référentes safe, dans le cas où il se passerait quelque chose. Sinon, au niveau des imprévus, la seule chose qui a un peu perturbé – et qui aurait pu perturber davantage – l’organisation, ce sont les aléas de type annulation de train, annulation d’avion. Malheureusement, ça s’est produit. Il y a aussi les invités qui ratent leur avion, alors on doit trouver une solution le plus rapidement possible, dans nos moyens, parce que l’on est une petite structure et que ça devient rapidement compliqué. On a eu des annulations de train, des invités qui ont dû venir en voiture au dernier moment, on a dû trouver des vols au dernier moment.

Anissa : Et des invités qui n’ont pas pu venir.

Jade : Des invités qui n’ont pas pu venir aussi, malheureusement.

Anissa : Pierre Guidez du FIFIB – le Festival International du Film Indépendant de Bordeaux – n’a pas pu venir.

Jade : En raison de l’annulation de son train, et car nous avons tous des obligations. Ce sont des professionnels donc ils ne peuvent être là que sur une courte durée, alors c’est compliqué pour eux de décaler ce qui était prévu. Anissa a dû présenter la séance que devait présenter Pierre et ça s’est très bien passé, le court-métrage était super.

Anissa : Et nous avons eu de supers invités le reste du festival.

La programmation du festival se passe sur plusieurs mois. Comment vous faites pour gérer la pression d’un si gros projet et pour rester motivées ?

Anissa : Ce n’est que de l’organisation, du temps de travail, du temps qu’on consacre au festival. Il y a des personnes qui sont plus impliquées que d’autres, et c’est normal, nous avons tous d’autres choses dans nos vies : des mémoires, des cours, donc il faut trouver du temps. Je pense que la motivation principale est le résultat, parce que lorsqu’on est face à soixante personnes qui sont venues voir un film choisi il y a cinq mois, c’est presque émouvant de voir l’accomplissement d’un travail. C’est super beau, et personnellement ça m’a vraiment donné le goût de la programmation. En plus de cela, on a acquis une expérience professionnelle de ce que peut être la programmation en festival, ce qui n’est pas négligeable.

Jade : C’est vrai que le point de départ de l’organisation du festival est la programmation qui intervient au tout début du processus. On a commencé à en parler en août, puisqu’on est amies donc on réfléchissait aux films à proposer, et c'est officiellement à partir du mois de septembre qu’on a vraiment commencé la programmation. C’est émouvant de se dire six mois après qu’un film qui a été retenu a été un succès. On est contentes de nos choix, ainsi que de la diversité de ceux-ci, parce qu’il y avait des films de patrimoine, des films un peu plus contemporains, récents, des documentaires, des films de fiction, des films expérimentaux, une comédie musicale.

Anissa : Les festivals, c’est une super ambiance où tous les soirs on va manger et boire avec les invités. On est entre nous, tout le monde rigole, les gens sont heureux et en plus on voit des films. C’est une ambiance incroyable, une expérience géniale.

Est-ce que la participation à ce festival vous a apporté quelque chose par rapport à vos études ?

Anissa : On se dirige vers la recherche afin de faire un doctorat par la suite, mais ça nous a aidées. Je fais de la programmation à côté – au sein d’un comité de sélection pour un autre festival – mais c’est tout de même un apport. On sait très bien que lorsqu’on va être doctorantes, et après enseignantes-chercheuses, on peut être amenées à faire de la programmation, à présenter une séance, et tout ça on sait le faire.

Jade : Faire de la programmation n’est pas incompatible avec le fait de faire de la recherche. Quand on s’intéresse aux images, au cinéma, nos affinités cinématographiques ont forcément orienté nos choix de programmation, donc je pense que ce n’est pas incompatible à l’avenir qu’on puisse continuer à faire de la programmation dans un cadre hors recherche.

Anissa : Dans les festivals, si on regarde précisément les invités, il y a toujours des universitaires qui sont invités pour parler de films.

Jade : Au niveau de l’expérience, ça a pu nous aider car nous étions toutes les deux en charge d’introduire des séances, de présenter des films et d’animer des débats à la suite des projections. Surtout lorsqu’Anissa – qui est spécialisée dans les cinémas d’Asie de l’Est – est intervenue lors de la séance du film Tetsuo : c’était la personne la plus qualifiée pour parler du film.

Anissa : J’ai eu des super retours de la part du public et ça m’a énormément touchée. De la part d’étudiants qui me disaient que c’était super, pertinent, et qu’ils ont appris plein de choses. Nous, ce qu’on fait ce n’est pas juste programmer des films à la chaîne pour satisfaire des partenaires. Je sais que c’est un peu utopique parce que si l’on regarde les économies festivalières, ça marche davantage aux partenariats, mais nous ce qu’on veut c’est apporter quelque chose, que les spectateurs sortent de la séance et se disent « je vais m’intéresser à ce cinéaste, je vais m’intéresser à ce cinéma, c’était vraiment génial ». Je pense que La Reconquista a marqué tout le monde.

Jade : C’est une séance qui a beaucoup marqué, et j’ai eu le retour de certains étudiants qui m’ont dit que ça n’était pas forcément le genre de films qu’ils aiment voir mais qu’ils sont heureux qu’ils aient été programmés pour pouvoir les voir. C’est aussi le but de notre festival et ça permet d’enrichir la cinéphilie.

Anissa : Jade s’est découvert une passion de traductrice en plus. [Rires]

Jade : On est un festival étudiant, donc avec des petits moyens, et on avait des invités étrangers ; deux invités espagnols et une cinéaste russe. Sans argent pour se payer un traducteur comme dans un festival professionnel type Cinemed, on fait avec les moyens du bord et c’est alors moi qui m’occupais de la traduction. Ça permet aussi d’élargir son champ de compétences parce que je n’avais jamais fait de traduction dans le cadre de débats où il faut forcément mémoriser les réponses et respecter le propos des invités.

Propos recueillis par Auriane Ruf