L'esthétique d'une nouvelle ère

Joker (Todd Phillips, 2019)

À l’annonce du nouveau Joker censé sortir en 2024, replongeons-nous dans le succès du film de Todd Phillips qui aspire à montrer l’essence du Joker, le célèbre clown de DC interprété ici par Joaquin Phœnix. Bercés par une esthétique haute en couleur et une musique douce exprimant la douleur de chaque instant, sombrons dans l’univers dystopique de Gotham.

Todd Phillips nous entraîne dans les rues lugubres de Gotham en mettant en évidence la pauvreté et la dangerosité qui résident dans cet univers. Le récit suit le quotidien d’Arthur Fleck, jeune homme présentant des troubles du comportement au premier abord inoffensifs mais qui, suite à une accumulation de mauvaises nouvelles, finit par l’orienter vers son personnage : le Joker.

Sans s’exprimer sur un scénario chargé de rebondissements, le film est véritable chef-d’œuvre visuel et sonore. En effet, l’esthétique révèle un Gotham ténébreux, exploré par de lents travellings longeant les longs couloirs en clin d’œil à l’incontournable Shining de Stanley Kubrick. Mais ce n’est pas le seul mouvement de caméra qui maintient l’œil du spectateur en alerte. Le Joker est montré tout au long du film en contre-plongée, mettant en position de supériorité et de force l’ennemi numéro un de Batman. Il obtient dans ce film sa part de gloire habituellement réservée à la chauve-souris de Gotham.

La couleur et la lumière se mettent au service du scénario grâce à une mise en scène opposant les riches et les pauvres. Effectivement, les couleurs chaudes sont associées aux gens aisés, ces derniers se retrouvant dans les lieux les plus éclairés de Gotham, en contraste avec les gens défavorisés cloîtrés dans des zones peu éclairées. Il revient ainsi au gratin de ce monde de se retrouver sous les feux des projecteurs.

À travers cette allégorie montrant l’influence des riches au détriment des pauvres, le film acquiert une dimension engagée sans pour autant l’énoncer clairement. Mais l’esthétique visuelle n’est pas le seul atout de Joker. La bande originale ajoute aux images de la tension tout en faisant preuve d’une délicatesse maintenue par le violon sensible de Hildur Guðnadóttir. La bande-son accompagne Arthur Fleck dans sa folie, résonnant comme une douce mélodie torturée.

Mais la réussite du film repose majoritairement sur l’interprétation spectaculaire de Joaquin Phœnix dans le rôle du Joker. En effet, succédant à Jack Nicholson, Heath Ledger et Jared Leto, Phoenix réinvente le célèbre clown de DC dans son premier opus. Il nous offre une représentation unique de ce personnage fictif. Acteur aux facettes multiples, Phoenix a déjà maintes fois prouvé son talent à s’approprier des personnages complexes, à l’image de Théodore, informaticien doux et sensible dans Her (Spike Jonze, 2013), ou de l’empereur romain Commode dans Gladiator (Ridley Scott, 2000). Nous le retrouvons ici sous une apparence amaigrie et décharnée, ce qui atteste son implication dans ce nouveau rôle. Gestuelle, mouvements de danse, rires malsains et angoissants : rien n’est laissé de côté pour créer l’ambiance du film. Pourtant montré sous un jour peu favorable, nous ne pouvons nous empêcher de ressentir de l’empathie pour un Joker dont la vie s’apparente à une suite de désillusions et de trahisons. Le film est une réussite en ce qu’il parvient à adoucir volontairement sa vision du monstre sans cœur dépeint par les différentes adaptations de Batman. Malgré tout, la conscience nous rappelle le juste.

Hypnotique dans l’ensemble, le film finit par tirer quelque peu en longueur. L’action, généralement prédominante dans les films de super-héros, se voit reléguée au second plan, ce qui constitue cependant une véritable marque d’originalité. Todd Phillips nous offre le premier film dédié au clown fou ouvrant la boîte de Pandore sur un monde lourd et dystopique. Nous ne pouvons désormais qu’attendre avec impatience le prochain volet dédié à l’éternel ennemi de Batman.

Eva Augusto