Jouer ou ne pas jouer

Entretien avec Jesica Munteanu et Louis Buisson (interprètes, étudiants de L3)

J'avais appris soudainement sur Instagram que Baptiste avait sorti un film. Il me semble qu'il s'est fait rapidement. J'aimerais savoir comment Baptiste vous a choisis et comment il vous a présenté son film pour vous donner envie d'y jouer ?

Louis : Un lundi juste avant les vacances, entre deux partiels, il est venu nous voir. Nous étions ensemble en train de discuter, et il nous a dit qu'il voulait nous parler d'un projet, un projet de film dans lequel il voulait qu'on joue.

Et il ne vous a rien dit sur le contenu du film ?

Jesica : Le partiel s'est terminé et puis il a d'abord parlé avec Louis, ensuite il m'a prise à part et il m'a dit : « J'ai pensé à toi pour mon prochain film, l'idée m'est venue en entendant ta voix et ça m'a inspiré. » Donc j'étais un peu troublée à ce moment-là, je me suis dit « ouh ma voix inspire ! » (rire) Puis il n'avait pas une idée très claire, il ne voulait pas trop me dire ce que c'était. Il m'a dit de lui faire confiance.

On voit à la teneur esthétique du film de Baptiste qu'il a des méthodes de tournage qui semblent assez particulières. J'aimerais savoir comment le tournage s'est déroulé.

Louis : Dès la première fois où il est venu me proposer le projet il m'a dit qu'il tournait avec son téléphone et un trépied qui lui sert aussi de crosse épaule. Les lumières sont naturelles, il n'y a pas de lumière ajoutée. C'est très différent de ce que j'avais pu faire sur le court-métrage qu'on a réalisé et pour lequel nous avions beaucoup plus de moyens (ndlr : Épiphanie, co-réalisé avec Arthur Dangréau, Margaux Gabriell, et Joseph Thirot). C'est particulier... et en même temps c'est assez agréable car nous avons moins l'impression d'avoir des caméras et des lumières sur soi, car en fait c'est juste un téléphone sur un trépied qu'on oublie très rapidement.

Jesica : Louis a parlé de la technique mais pas de l'aspect humain. J'avais dit à Baptiste que je n'étais pas à l'aise avec les caméras. Je n'avais jamais joué avant. Il a pris ça très au sérieux, ce que j'ai apprécié. Il m'a donc proposé qu'on se voie vingt minutes avant l'arrivée de Louis pour faire des exercices devant la caméra. Il m'avait donc présenté le micro, son matériel, et nous avons fait des exercices de lecture. Il m'avait dit : « Il faut que tu t'habitues à la présence de la caméra et tu vas l'oublier. » Dans sa façon de faire, il n'avait pas un scénario écrit de façon linéaire, mais composé de situations. Il nous place dans des situations. Il nous disait d'occuper l'espace, et donc nous avions une marge d'improvisation assez grande. Il s'est montré aussi très rassurant et patient. Il y avait des moments dans lesquels il y avait un peu de texte et nous n'arrivions pas à le réciter parce que ce n'était pas spontané (rire). Donc il essayait de trouver des techniques pour s'adapter à nous.

Le film a été tourné en un jour ?

Jesica : Oui.

Pour continuer à parler du tournage, on voit qu'il y a beaucoup d'improvisation, que le film repose en grande partie sur vous étant donné que la caméra pendant une grande partie du temps n'intervient pas. J'aimerais savoir votre degré d'implication dans le film.

Louis : Il nous a fait des propositions. Par exemple pour la scène de dispute qui était prévue. Mais pour la plupart des autres scènes comme celle d'ouverture, il pose la caméra et nous demande d'occuper l'espace. Et après... c'est nous qui sommes nous.

Jesica : Je dirais que le film tel qu'il est a été d'une certaine façon possible par ma complicité avec Louis. Si nous n'avions pas cette relation le film aurait été différent. Je crois que Baptiste a su voir ça et le capter. Pour ce qui est de notre implication, parfois j'avais moins d'assurance que Louis et je posais donc des questions à Baptiste sur ce que je devais faire et il me répondait : « Tu fais ce que tu veux. »

Et donc qu'est-ce que vous avez pensé du résultat final ?

Louis : Le résultat ne m'a pas surpris parce que je connaissais un peu Baptiste. Il m'avait demandé de voir deux films avant le tournage...

Oh ça m'intéresse, qu'est-ce qu'il t'a demandé de voir ?

Louis : Le Père Noël a les yeux bleus (Jean Eustache, 1966) et Masculin Féminin (Jean-Luc Godard, 1966). C'était pour l'acteur, Jean-Pierre Léaud.

Il voulait que tu sois son Jean-Pierre Léaud...

Louis : Je ne sais pas (rire). Mais au vu du tournage, le résultat n'a pas été si étonnant. Moi ce qui m'a dérangé la première fois que je l'ai vu c'est de voir le mélange entre ce qui est censé être de la fiction et le fait que ce soit juste Jesica et moi, deux amis qui discutent comme on pourrait le faire dans un café ou chez nous. C'est troublant.

Jesica : Je rebondis sur cette idée. Les gens sont venus me dire que je jouais trop bien, mais... je ne joue pas (rire). Peut-être que nous ne sommes pas complètement nous-mêmes à cause de la caméra mais j'étais troublée par le fait que les gens pensent que j'ai un bon jeu d'actrice alors que je n'avais pas l'impression de jouer. Sinon j'ai... pas compris certains choix esthétiques, et j'ai été troublée parce que la description du film c'est « un film sur un couple » alors que je n'ai pas du tout cerné ça dans le film. Avec Louis nous ne sommes pas en couple, nous sommes amis, alors je trouve que ça ne se ressentait pas que c'était un film sur un couple. Et il y a beaucoup de gros plans, ce que je ne savais pas durant le tournage. Je me demandais « Pourquoi je vois mon visage tout le temps ? » Donc j'avais l'impression que c'était plutôt le couple selon Jesica, ou du moins comment la relation affecte Jesica, plutôt qu'un film sur le couple. Ce sont mes réactions que l'on voit et à plein de moments Louis a été coupé du cadre alors que nous sommes deux. C'est ce qui m'a dérangée.

Pour rebondir sur ce que tu dis, j'en avais justement parlé à Baptiste. Je lui avais entre autres dit qu'on ne voyait pas que c'était un film sur un couple, car comme ce qu'il avait voulu faire était de vous utiliser tels que vous étiez, la réalité de ce que l'on voit est la réalité de votre relation qui est une relation amicale. S'il avait choisi deux acteurs qui étaient en couple, peutêtre que même sans scène qui explicite la nature de leur relation nous l'aurions senti. Vous ne pouviez pas jouer le couple puisque vous ne jouiez pas.

Propos recueillis par Victor Audier