« Je voulais capter des situations »
Entretien avec Baptiste Lechesne (réalisateur, étudiant de L3)
Pour commencer sur la soudaineté de ce film, je me demandais si cette envie avait vraiment été soudaine ou si tu y réfléchissais déjà depuis un certain temps ?
Ça faisait déjà quelque temps que j'avais l'idée de faire un film qui parle plus ou moins d'un couple, mais je ne savais pas quelle forme ça prendrait. C'est au montage que le film s'est avéré être un long-métrage. Je n'avais pas prévu de durée précise. Un jour j'avais croisé Jesica et une amie à elle qui prenaient des photos, et j'étais allé leur demander ce qu'elles faisaient. Et là j'ai entendu la voix de Jesica et j'ai été très touché par cette voix, et je ne sais pas pourquoi... j'ai eu envie de lui consacrer ce film. Derrière cette voix je sentais qu'il y avait quelque chose à saisir avec la caméra.
Cela répond aux interrogations de Jesica concernant le recentrement plus précis sur sa personne, alors que c'est un film sur un couple.
C'est ça.
Pourquoi est-ce que toi qui es si passionné et connaisseur de cinéma classique tu te tournes autant vers des formes expérimentales ? Est-ce que tu te sens plus capable de réaliser des films modernes formellement plutôt que des films classiques qui correspondraient plus à tes goûts ? C'est étonnant pour moi que tu ailles chercher ces formes-là.
Je dirais que ces formes je ne les ai pas cherchées. Au moment du tournage j'ai tourné comme ça me venait. Je fais un plan fixe car c'est ce que j'estime être le plus à même de capter ce que je cherche, à savoir leur complicité. Mais c'est vrai que cette inspiration classique me travaille un peu et je suis en train de réfléchir à un prochain film qui serait plus ancré dans le classicisme des années 1930-1950. Au tournage je ne me suis jamais dit je vais tourner tel plan, et au montage je vais faire tel raccord, pour me référer à tel cinéaste. Chaque cinéaste me marque, mais c'est inconscient.
Oui tu ne fais pas le film en le pensant sous une influence « nouvelle vague », mais le fait est que les films que tu as vus et qui continuent de travailler en toi font que tu reconduis encore ces formes-là.
C'est ça.
Donc ta réponse contredit mon intuition, je pensais que ton film était régi par un projet esthétique plus que par la volonté de raconter une histoire.
Dans mes intentions c'était l'inverse.
Eh bien précisément, et je sais que tu es d'accord avec moi, je trouve que le film échoue dans ses ambitions esthétiques. Tu es pris par plusieurs aspirations, et ne parviens pas à créer un tout cohérent. Donc je me demandais si tu avais plutôt fait ce film pour t'exercer.
M'exercer forcément, puisque je voulais m'exercer à raconter une histoire, contrairement à mon court-métrage précédent qui était juste basé sur une forme. Ici il y avait une tentative de raconter une histoire, de mettre mes influences esthétiques au service de cette histoire-là, et d'apprendre à diriger des acteurs. Mais mon scénario... si tu le vois tu vas un peu rire, il n'y a rien d'écrit.
Mais ce n'est pas du tout une histoire que tu racontes. Intuitivement quand on dit « je veux faire un film qui raconte une histoire » on trouve une histoire à raconter. Toi tu as trouvé des situations à dépeindre. Pas de début, pas de milieu, pas de fin, et dans aucun ordre que ce soit pour reprendre la phrase de Godard (rire).
Ce que j'aime beaucoup dans le cinéma, ce sont les films qui ne racontent narrativement pas grand-chose et qui montrent juste des situations. Je voulais capter des situations.
Donc ça confirme que c'était une ambition plus moderne que classique.
Oui, mais quand tu vois Le Chant du Missouri (Vincente Minnelli, 1944) ou Stars in My Crown (Jacques Tourneur, 1950) ce sont des films qui ne racontent rien d'autre que des situations, que le quotidien, et ils sont pourtant narratifs. Il faut trouver cette jonction entre les deux qui n'est pas toujours évident.
Il me semble qu'il y a une grande part d'arbitraire dans ton film. Pour aucune raison précise, tu décides de filmer tel passage de telle manière, tel autre passage de telle autre manière, en misant sur la déstructuration. Est-ce que tu confirmes ?
Je confirme.
C'est presque une méthode de travail.
Je tente des choses, ça marche ou non. Mais j'essaie.
Propos recueillis par Victor Audier